3.3.1.2. Le stéréocomparateur, premier instrument de restitution mécanique.

La symétrie des vues stéréophotographiques prises dans la même direction permettait d’envisager de mécaniser les mesures effectuées sur les clichés. Au tournant du 20e siècle, la recherche technologique sur les levés photographiques s’orienta très nettement vers la mise au point d’une telle solution instrumentale. Selon les auteurs, l’invention du premier instrument de restitution mécanique est attribuée à Deville au Canada ou au docteur Pulfrich en Allemagne. Deville avait envisagé dès 1895 « le principe d’un appareil de stéréophotogrammétrie appliqué au tracé des courbes de niveau »1077 dans son ouvrage Photographic surveying, mais il n’avait construit cet appareil qu’en 1902. Pulfrich avait entre temps mis au point en 1898 un télémètre stéréoscopique, consistant en deux chambres photographiques fixées aux extrémités d’une courte base, sur le principe duquel il avait construit la première version de son stéréocomparateur.

« En déplaçant les clichés au moyen des volants [de] l’appareil de façon à obtenir le contact stéréoscopique entre une marque repère, vue dans la lunette binoculaire, et le point du terrain [à] restituer »1078, le stéréocomparateur permettait « de mesurer sur les photographies les données utilisées à leur restitution »1079, c’est-à-dire à leur situation dans l’espace : l’écartement du point avec l’axe de la vue, qui donnait la direction du point ; la parallaxe stéréoscopique qui donnait son éloignement de la station ; sa hauteur au-dessus de l’horizontale qui donnait son altitude. Le principal avantage de cet instrument était de ne pas nécessiter de connaissance particulière du terrain à restituer : lorsque la marque repère semblait toucher un point du relief, par l’effet optique de la stéréoscopie, il était possible de le restituer sans avoir besoin de l’identifier, contrairement à la méthode Laussedat classique qui obligeait à reconnaître le point à restituer sur chacune des photographies utilisées avant d’effectuer les mesures. Un stimulus visuel direct remplaçait ainsi un processus cognitif complexe.

Le succès du stéréocomparateur fut particulièrement important en Europe, où il connut plusieurs déclinaisons avec Fourcade (1901), Capetownl, ou Von Hübl (1903)1080. Mais les manipulations étaient longues et fastidieuses et réclamaient une attention soutenue, tandis que les calculs restaient encore nombreux et laborieux. Ces contraintes expliquent son rejet par des topographes comme Henri et Joseph Vallot qui connaissaient suffisamment le terrain couverts par leurs levés photographiques pour ne pas rencontrer systématiquement des problèmes d’identification. Mais dans la perspective de levés plus importants, elles s’avéraient insignifiantes par rapport à la possibilité de confier la restitution à un opérateur ne connaissant pas le terrain parce qu’il n’avait pas lui-même effectué les levés photographiques. A l’époque même où le taylorisme se développait dans les pays industrialisés, cette possibilité permettait d’envisager une division plus marquée du travail topographique, que Laussedat lui-même appelait de ses vœux dès 18651081, et l’emploi d’« ouvriers spécialisés » sans compétence topographique particulière, une tentation dont j’ai déjà souligné l’importance dans l’instrumentation des levés de précision1082. Dans la première décennie du 20e siècle, les recherches s’orientèrent donc vers la simplification et l’automatisation de l’utilisation des instruments de restitution.

Notes
1077.

ROUSSILHE H. Emploi de la photographie aérienne. Op. cit., p. 18.

1078.

Le SGA. Op. cit., p. 154.

1079.

PERRIER Général. Les progrès… Op. cit., p. 138.

1080.

ROUSSILHE H. Emploi de la photographie aérienne. Op. cit., p. 18.

1081.

LAUSSEDAT Aimé. Compte-rendu sommaire des expériences de photographie appliquée… Op. cit.

1082.

Voir supra, partie 2, chapitre 4.3.2.