3.3.1.3. Le stéréoautographe, entre automatisation et pratique artisanale.

Même avec le stéréocomparateur, la méthode stéréotopographique ne permettait de gagner du temps que dans les opérations de terrain, et elle n’était rentable que dans les situations particulières où la difficulté ou l’urgence du travail de terrain justifiait un accroissement du travail de bureau. Son développement reposait donc essentiellement sur l’accélération du processus de restitution. Dans ce domaine, l’innovation majeure fut la mise au point, en 1907, d’un nouvel instrument de restitution par le lieutenant Von Örel de l’Institut géographique militaire de Vienne : le stéréoautographe.

Cet appareil complétait le stéréocomparateur, puisqu’il permettait « la résolution mécanique des formules géométriques qui donnent les coordonnées des points restitués, en partant des éléments fournis par le stéréocomparateur »1083. En pointant les différents points caractéristiques des lignes planimétriques sur l’instrument de Pulfrich, l’opérateur obtenait avec le stéréoautographe le tracé continu et mécanique de ces lignes. Ce procédé pouvait être adopté pour le tracé des courbes de niveau. L’altitude de chaque point était indiquée par un curseur qui se déplaçait sur une règle divisée. Ce curseur pouvait être immobilisé, de telle sorte que tous les points pour lesquels était obtenu le contact stéréoscopique avec l’index mobile se trouvent à la même altitude. Le stéréoautographe traçait alors mécaniquement et de façon continue la courbe de niveau pour cette altitude. La précision des points déterminés et donc du tracé atteignait deux à trois mètres en position et en altitude, ce qui se révélait satisfaisant pour une échelle comme le 1 : 20 000 puisqu’elle ne dépassait pas la tolérance graphique du quart du millimètre1084.

Dans son principe, le stéréoautographe permettait donc une certaine « automatisation » du tracé des lignes planimétriques et des courbes de niveau, qui accélérait considérablement les opérations de restitution et améliorait la précision du dessin topographique en résultant. Non seulement il supprimait les calculs fastidieux et les constructions graphiques complexes nécessaires à la détermination des points, qui ralentissaient la restitution, mais en accélérant et simplifiant celle-ci, il permettait également de baser le tracé sur un beaucoup plus grand nombre de points restitués.

Cependant, l’automatisation obtenue grâce au stéréoautographe était en fait très limitée. D’une part, elle ne concernait qu’une partie du processus cartographique. L’instrument ne faisait que tracer des lignes à partir d’une série de points définis et pointés successivement par l’opérateur. La majeure partie des opérations des levés photographiques n’était pas concernée par cette automatisation : le choix des bases photographiques, la réalisation des clichés sur le terrain, leur développement au laboratoire, le dessin du rocher, entre autres, formaient autant de phases encore artisanales où la compétence et l’expérience de l’opérateur étaient fondamentales pour obtenir toute la précision possible de la méthode stéréotopographique. D’autre part, le fonctionnement même du stéréoautographe n’était que peu automatisé. Son maniement particulièrement complexe, le choix des points caractéristiques pour les lignes à restituer, la gestion des imperfections et des lacunes des photographies (angles morts, flous, etc.), nécessitaient des opérateurs compétents en topographie et limitaient l’accélération de la restitution. Dans la pratique, il s’agissait donc plus d’une mécanisation que d’une automatisation, puisque l’essentiel des manipulations restait manuel.

Dans certaines situations, cette mécanisation montrait d’ailleurs de sérieuses limites. Selon les photographies et la compétence du restituteur, 10 à 25 % de la surface ne pouvait pas être restituée et nécessitait des opérations de complètement à la planchette sur le terrain, en particulier pour les fonds de vallée encaissées. Le tracé mécanique des courbes de niveau se révélait aussi problématique, donnant des courbes qui se touchaient ou qui traduisaient mal l’escarpement du terrain, dans des configurations où un topographe compétent aurait effectué un travail de généralisation ou de systématisation pour mettre en valeur la topographie. Ce tracé devait donc être revu par un topographe, à partir des photographies elles-mêmes s’il connaissait suffisamment le terrain, ou dans certains cas plus graves sur le terrain directement, augmentant encore le travail de complètement nécessaire. La méthode stéréotopographique restait donc encore largement artisanale, dans le sens où elle reposait toujours sur le talent des opérateurs plus que sur l’efficacité des instruments.

Notes
1083.

Le SGA. Op. cit., p. 154.

1084.

GENDRE Commandant F. Travaux du Service Géographique de l’Armée dans les Alpes en 1923 et 1924. La Montagne, 21, 181, avril 1925, p. 99.