4.1.1.2. De la projection polycentrique à la projection de Lambert, le rôle des besoins militaires.

Comme dans de nombreux autres domaines de la cartographie officielle, la première guerre mondiale confirma et accentua l’évolution en cours dans les systèmes de projection employés. Si la préférence pour la qualité de conformité ne fut pas remise en question, un système de projection plus adapté aux nouveaux besoins militaires fut adopté. En effet, la guerre de position et le rôle central du tir d’artillerie d’après cartes avaient démontré la nécessité pour les militaires de disposer de coordonnées non plus seulement géographiques (degrés ou grades), mais aussi rectangulaires (kilométriques) afin de pouvoir obtenir les coordonnées d’une position directement par leur mesure sur la carte1120. Or le système polycentrique ne permettait pas d’assembler plusieurs feuilles selon un système cohérent de coordonnées rectangulaires, une lacune particulièrement problématique compte tenu de la faible surface couverte par les coupures des plans directeurs. Pour les canevas de tir et les plans directeurs dressés pendant la guerre, le SGA avait donc adopté en 1915 la projection de Lambert, une projection conique modifiée conforme.

Dans la projection de Lambert, la conformité, c’est-à-dire la conservation des angles, nécessitait une correction qui s’accroissait avec l’éloignement du parallèle moyen choisi pour la projection, ce qui obligeait à limiter la zone d’utilisation du système dans le sens nord-sud pour éviter une trop grande altération des longueurs1121. Le système Lambert adopté pendant la guerre, appelé zone nord de guerre 1122, avait été choisi pour rendre optimal une extension vers l’est pour des raisons militaires évidentes : il ne pouvait donc pas être étendu à toute la France après la fin du conflit. Mais l’emploi des coordonnées rectangulaires s’étant révélé également avantageux au point de vue topographique, notamment pour la détermination du canevas de planimétrie, le SGA mena des études pour adopter un système de quadrillage identique sur une carte à grande échelle, 1 : 20 000 ou 1 : 50 000, qui aboutirent à l’adoption en 1920 de nouveaux systèmes de projection pour toute la France1123.

Pour les mêmes raisons militaires, la projection de Lambert, extensible indéfiniment vers l’est, fut préférée à la projection de Gauss, un cas particulier de la projection de Lambert extensible indéfiniment dans le sens nord-sud. A cause de l’augmentation des déformations avec l’éloignement du parallèle de référence de la projection1124, trois systèmes différents furent adoptés en France : Lambert zone nord, Lambert zone centrale, Lambert zone sud1125, tous se rapportant à l’ellipsoïde de Clarke 1880 et aux éléments de départ de la nouvelle triangulation (position géographique du Panthéon et azimut de Rosny). Des tables et des systèmes de transformation furent développés par la suite pour harmoniser peu à peu les feuilles existantes, mais les fonds de carte ne pouvaient en aucun cas être retouchés et seuls les coordonnées indiquées dans le cadre de la carte et le quadrillage employé furent modifiées tant que le dessin cartographique n’était pas entièrement refait à la suite de nouveaux levés.

Le changement de systèmes de projection avait un impact sur la rédaction cartographique, mais également sur les opérations géodésiques et topographiques : seule la triangulation de 1er ordre continua à être calculée en coordonnées géographiques, les autres adoptant les coordonnées rectangulaires, c’est-à-dire kilométriques, jusque dans les triangulations complémentaires exécutées en préparation des levés et qui fournissaient le canevas trigonométrique dans lequel ces levés s’inscrivaient. Une instruction du 7 novembre 1921 prescrit d’ailleurs définitivement l’établissement des minutes en projection Lambert. Au final, la projection polycentrique adoptée en 1900 ne fut utilisée que pendant vingt ans avant d’être remplacée par une autre projection conforme, dont la longévité fut bien plus grande puisqu’elle est encore utilisée aujourd’hui par l’IGN1126.

Notes
1120.

Rapp. SGA 1914-19, p. 36-38.

1121.

Pour augmenter cette zone, le SGA avait remplacé le cône tangent développé le long du parallèle moyen (le long duquel l’échelle était normalement conservée), par un cône légèrement sécant, suivant deux parallèles également distants du parallèle moyen (le long desquels l’échelle était conservée dans la version modifiée). Mais malgré cet artifice, la projection ne pouvait être étendue sur toute la France.

1122.

Son origine était située à l’intersection du méridien 6 grades est et du parallèle 55 grades nord.

1123.

Note de la Direction du Service Géographique, en date du 10 août 1920, concernant l’adoption de nouveaux systèmes de projection Lambert pour toute la France. Rapp. SGA 1920-21, p. 8-12.

1124.

Des parallèles en fait, puisque l’utilisation d’un cône sécant fut reprise : les parallèles sur lesquels l’échelle était conservée étaient tous deux distants d’un grade du parallèle moyen.

1125.

Leurs origines étaient situées sur le méridien de Paris et sur les parallèles 55 grades, 42 grades et 49 grades, respectivement pour les zones nord, centrale et sud. La région couverte par mon corpus se trouve donc à cheval entre la zone centrale et la zone sud.

1126.

Sous une forme modifiée, dite Lambert-93, retenue en septembre 1996 pour s’adapter au nouveau système géodésique français RGF93 qui remplace la nouvelle triangulation de la France (NTF).