4.1.3. Réalisation complexe et ambitions contradictoires, une carte de transition « mal née ».

4.1.3.1. Un processus de rédaction et reproduction complexe.

Reprenant des méthodes expérimentées pour les cartes dérivées du 1 : 80 000 et pour la carte d’Algérie et de Tunisie au 1 : 50 000 commencée dans le dernier quart du 19e siècle, le processus de rédaction et de tirage des feuilles de la nouvelle carte de France s’avérait particulièrement complexe, à cause du nombre de planches et du détail de la facture elle-même, mais aussi de l’emploi successif de trois échelles différentes de rédaction et de la combinaison de techniques diverses (encadré 6).

Encadré 6 : Processus de rédaction et de reproduction de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000, type 1900 .
1) Etablissement de la feuille de projection au 1 : 40 000, et décalques de réductions des minutes dessus.
2) Dessin de la planche de planimétrie, toutes couleurs confondues, sur la feuille de projection.
3) Réduction photographique au 1 : 50 000 de la planche de planimétrie, en autant d’exemplaires que de planches, et copie sur zinc des couleurs fondamentales (noir, bleu, rouge).
4) Dessin de la planche d’écriture, toutes couleurs confondues, sur un tirage au 1 : 30 000 de la planimétrie, puis réduction au 1 : 50 000 et copie sur zinc.
5) Rédaction de la planche de courbes au 1 : 50 000, par le procédé du traçage sur glace blanchie, et copie sur zinc.
6) Etablissement des planches de teintes en zincographie.
7) Exécution des deux planches d’estompage au pinceau sur un fond orohydrographique au 1 : 50 000, puis photographie tramée et copie sur zinc (une planche en bistre pour l’éclairage vertical, une planche en gris bleuté pour l’éclairage oblique).
8) Premier tirage d’essai en trois couleurs, vérification et correction de la gravure.
9) Deuxième tirage d’essai, établissement d’un modèle pour l’habillage et les détails orographiques trop fins pour le procédé sur glace blanchie, gravure sur les planches de zinc d’après ce modèle.
10) Tirage d’un essai complet avec estompage, vérification et mise au point définitive en gravure.

La plupart des nouvelles techniques adoptées pour la carte de France avait été expérimentées et parfois développées pendant les travaux de la carte d’Algérie, premier exemple de carte polychrome produite en série à partir de levés directs par le SGA. Plusieurs changements importants étaient ainsi intervenus dans le procédé de production de la carte. Tout d’abord, les procédés de reproduction photographique avaient été généralisés, soit pour effectuer les modifications d’échelle des dessins (photographie), soit pour obtenir plus rapidement les planches de reproduction et assurer un bon alignement des couleurs (métallographie). Ces procédés s’appliquaient dorénavant même à l’estompage, considéré comme la partie la plus artistique de la rédaction cartographique, c’est-à-dire la moins « normalisable », mais qui n’échappait plus à la volonté d’industrialisation du processus cartographique qui commençait à se développer au SGA. La méthode traditionnelle nécessitait d’établir un modèle au lavis au pinceau sur une épreuve de la feuille, puis à le recopier au crayon lithographique, en inverse, sur une planche de zinc. Dans le but explicite « de substituer à ce travail long et coûteux et dont les résultats étaient parfois incertains, un procédé de reproduction photomécanique de l’effet duquel on fût absolument maître et capable de rendre la demi-teinte par tirage sur la presse lithographique »1136, le SGA avait finalement réussi à mettre au point un procédé basé sur des clichés tramés. Expérimenté à partir de 1898 et appliqué régulièrement dès 19011137, ce procédé consistait à reproduire un modèle d’estompage par photographie tramée, puis à copier le cliché sur zinc par héliogravure pour obtenir une planche de tirage.

Les procédés de reproduction photographique servaient également à répondre aux exigences de la rédaction des cartes polychromes, c’est-à-dire du dessin lui-même. A la fin du 19e siècle, le dessin par couleurs séparés sur papier Rives s’était imposé. Il consistait « à utiliser autant de reproductions en bleu [non photogénique] qu’il y [avait] de couleurs et à exécuter autant de dessin séparés, chacun d’eux comportant seulement les signes ou écritures devant être imprimés dans la même couleur, […] exécutés en noir, avec une encre de Chine »1138. Le dessin était exécuté sur du papier Rives, particulièrement adapté aux travaux fins, qui était collé sur une feuille de zinc pour assurer sa rigidité et éviter les déformations qui nuiraient à l’alignement des différentes planches. Une fois achevé, le dessin était copié sur zinc par héliogravure, seuls les traits noirs étant ainsi reproduits puisque la reproduction initiale de la minute était en bleu non photogénique. Ce procédé, réservé aux productions relativement prestigieuses à cause du coût du papier et de la longueur des opérations, resta la base de la rédaction cartographique pendant plus d’un demi-siècle1139. Pour le type 1900, il ne s’appliquait pas au dessin des courbes de niveau, pour lequel il avait été jugé plus rapide et plus simple d’utiliser le procédé du traçage sur glace blanchie, également expérimenté sur la carte d’Algérie-Tunisie : ce dernier permettait de tracer plus facilement des traits courbes uniformes, le verre glissant mieux que le papier, et d’obtenir facilement un négatif permettant une héliogravure rapide1140.

Mon hypothèse est que l’adoption de toutes ces nouvelles techniques témoignait d’une volonté paradoxale d’accélérer la rédaction cartographique dans chacune de ses étapes, tout en conservant des spécifications luxueuses traduites entre autres par la multiplication des planches. Ce mélange relativement hétérogène de procédés montre bien que le type 1900 constituait encore une œuvre de transition entre les mutations techniques de la fin du 19e siècle et leur systématisation « industrielle » dans les années vingt. En particulier, il témoignait de l’absence de recul sur des innovations relativement récentes, reprises de façon quasi-systématique de la carte d’Algérie, et de la prise en compte limitée des problématiques d’actualité et d’efficacité que la conception utilitariste plaçait au cœur des questions cartographiques.

Notes
1135.

ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.2. Op. cit., p. 61.

1136.

Rapp. SGA 1900, p. 14.

1137.

Rapp. SGA 1901, p. 21.

1138.

Le SGA. Op. cit., p. 172-173.

1139.

Voir infra, partie 4, chapitre 4.1.

1140.

Voir glossaire.