4.1.3.3. Des spécifications luxueuses empêchant une utilisation efficace.

Même si elle fut reconnue comme une œuvre cartographique remarquable, notamment par son rendu plastique très expressif, la nouvelle carte de France fut rapidement critiquée, au sein même du SGA, pour ses spécifications trop luxueuses. Non seulement celles-ci s’avéraient problématiques dans le contexte financier particulièrement difficile de la réalisation de la carte, mais en plus elles ne permettaient pas de répondre aux besoins des utilisateurs. Dès 1912, la Commission centrale des travaux géographiques reconnut qu’en plus de la lenteur d’exécution et des difficultés de révision introduits par le luxe de la rédaction cartographique, la quantité de détails intégrés pour répondre au maximum de besoins et le nombre de couleurs employées nuisaient en définitive à la lisibilité. Contrairement à ce que supposait Berthaut en 1898, quand il affirmait que les spécifications et techniques de reproduction adoptées plaçaient l’entreprise « dans les meilleures conditions de rapidité et d’économie » et que « la carte [serait] plus lisible pour le public, et par conséquent plus appréciée »1142, cette dernière ne répondait pas à ces objectifs.

Bien que son point de vue partisan d’une réforme de la carte soit à considérer avec précaution, l’ouvrage consacré par le SGA à la Nouvelle carte de France en 1923 donnait une présentation très claire des problèmes posés par le type 1900 :

‘« C’est une carte de luxe qui ne répond pas aux conditions de rapidité d’exécution et d’économie qui s’imposent. Sa préparation exige beaucoup trop de temps et comporte des frais exagérés.  […] D’ailleurs, l’expérience a montré que la recherche de la perfection en cartographie, par l’abondance et la variété des détails représentés, par l’augmentation du nombre des couleurs, est dans une certaine mesure illusoire. Une carte d’intérêt général ne peut satisfaire à tous les besoins particuliers ; elle ne peut remplacer certaines cartes spéciales, ni des schémas, des guides, des croquis, des notices statistiques, etc… Elle doit seulement comporter certains éléments de base généraux et avant tous les éléments topographiques du terrain. […] Si l’impression d’une carte nécessite un nombre important de tirages et si les planches servant à l’impression sont trop nombreuses et trop chargées, on conçoit que l’opération de la tenue à jour puisse devenir inextricable. Or, les indications planimétriques d’une carte ne présentent de valeur qu’autant que la révision en est relativement récente. »1143

Dans les années cinquante, Georges Alinhac considérait que le type 1900 avait « péché par excès de qualités et dépassé son objet en cherchant à l’atteindre trop bien »1144. Je considère plutôt qu’il s’était « étranglé » entre des ambitions contradictoires, d’une part la volonté d’universalisme et de prestige héritée de la conception fixiste, d’autre part la volonté d’utilité pratique imposée par l’essor de la conception utilitariste. La nouvelle carte s’avérait particulièrement « mal née », dans le sens où elle donnait une représentation luxueuse du territoire au moment même où s’imposait le besoin d’une représentation simple et efficace et où se compliquait la situation financière du SGA. A mes yeux, la carte de France type 1900 constitue indéniablement une œuvre de transition, entre l’adoption de nouvelles techniques dans un cadre théorique encore insuffisamment stabilisé qui avait motivé leur développement, et leur généralisation dans l’immédiat après-guerre au sein d’une double ambition scientifique et industrielle.

Notes
1142.

BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 344.

1143.

La Nouvelle carte de France. Op. cit., p. 102-103.

1144.

ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.2. Op. cit., p. 60.