4.2.2.3. Une base stable pour des variations utilitaires.

Le modèle suisse était formé de quelques règles simples qui pouvaient être employées exclusivement, donnant des cartes relativement dépouillées comme l’Atlas Siegfried, la carte du massif du Mont Blanc des Vallot ou la carte de France au 1 : 20 000 type 1922, ou au contraire enrichies par d’autres éléments, comme dans les cartes de France au 1 : 50 000 type 1922 et surtout type 1900. Si sa formalisation répondait à une volonté de clarté et de lisibilité qui procédait d’une conception utilitariste de la cartographie, il conservait un élément figuratif fondamental, le rocher à l’effet, et pouvait être adapté à des cartes que je considère comme encore inscrite dans la conception fixiste de la cartographie, à l’image du type 1900. Ce « modèle suisse », qui ne fut d’ailleurs jamais reconnu et désigné comme tel, posait seulement les bases stables d’une représentation normalisée du relief, susceptibles d’être adaptée à des besoins divers.

Les différences entre le type 1900 et le type 1922, pourtant tous deux inspirés du modèle suisse, offrent un bon exemple des variations possibles sur les mêmes bases de représentation topographique. Ainsi, même si sa courte existence facilita une plus grande cohérence générale, le type 1900 fut la dernière carte officielle à présenter une forte homogénéité dans l’ensemble des techniques de levé et des procédés de représentation cartographique adoptés. Le tableau suivant montre la proportion de zones sur les feuilles des types 1900 et 1922 couvrant le territoire français et employant certaines variations du modèle suisse : équidistances différentes, estompage, mise en valeur des courbes maîtresses, couleurs supplémentaires au trois couleurs « de base » (tableau 16). La période de publication prise en compte pour chaque type est d’une durée relativement proche : de 1911 à 1926 essentiellement pour le type 1900 (à l’exception d’un tirage tardif de la feuille Tignes en 1932), et de 1926 à 1939 pour le type 1922.

Tableau 16 : Variations de la représentation cartographique dans les feuilles de la carte de France au 1: 50 000 basées sur le modèle suisse, entre 1900 et 1939*.
Type 1900 Type 1922
Effectif Pourcentage Effectif
Equidistance
         
20 m. 2 16,67 37 55,22 %
Estompage
Oui 11 91,67 % 47 70,15 %
Non 1 8,33 % 20 29,85 %
Courbes maîtresses**
Gras 12 100 % 67 100 %
Altitude 0 0 % 3 4,48 %
Nombre de couleurs
3 0 0 % 15 22,39 %
4 0 0 % 32 47,76 %
5 0 0 % 20 29,85 %
6 2 15,38 % 0 0 %
8 11 84,62 % 0 0 %
Nombre total de feuilles   12 100 % 67 100 %
* Seules ont été prises en compte les zones couvrant le territoire français, qui sont généralement les seules représentées en détail.
** Les courbes maîtresses peuvent être mises en valeur par un trait gras et / ou une indication d’altitude : le total peut donc dépasse le nombre total de feuilles.

Le tableau montre ainsi que le type 1900 présentait une homogénéité plus grande, que je considère comme une preuve supplémentaire de sa conception comme un tableau figé du territoire, donc de son inscription dans la conception fixiste de la cartographie. Au contraire, le type 1922 présenta dès les deux premières décennies de sa publication une plus grande hétérogénéité, aussi bien par les diverses techniques de levé employées que par les variations très sensibles de son mode de représentation : équidistances des courbes de niveau, mise en valeur des courbes maîtresses, nombre et utilisations des couleurs, estompage. Les deux étaient bien sûr liés1165, mais le respect moins strict des spécifications répondait aussi à l’affirmation de la conception utilitariste dans la pratique cartographique. Ainsi, en fonction des impératifs économiques ou des utilisations envisagées, une feuille pouvait se voir doter ou non d’un estompage, d’une équidistance plus petite ou d’une planche de vert. Si les bases du modèle suisse, comme je les ai définies, étaient toujours respectées, elles permettaient toute sorte de variations utilitaires.

Cette différence notable entre le type 1900 et le type 1922 confirme mon hypothèse que le type 1900 représentait finalement le dernier mais flamboyant avatar de la cartographie fixiste et figurative, remplacé par un type 1922 pour lequel le SGA se souciait davantage de rentabilité et d’efficacité dans ce que j’ai appelé la conception utilitariste de la cartographie. Cependant, l’approche figurative n’avait pas complètement disparu avec le type 1922 : à partir des années vingt, elle se retrouva concentrée dans la problématique de l’expressivité du relief, à laquelle participèrent activement les derniers topographes-alpinistes.

Notes
1165.

Voir infra, partie 3, chapitre 4.3.