4.2.3.2. Limiter l’interprétation artistique pour le dessin du rocher à l’effet dans les cartes officielles.

J’ai déjà montré comment les levés de précision s’inscrivaient selon moi dans une « scientificisation » de la cartographie, en particulier par la géométrisation accrue de la représentation du relief permise par le développement de la mesure instrumentale du terrain1170. Goulier et de la Noë insistèrent particulièrement sur cette formalisation scientifique des levés topographiques, mais jusqu’au début du 20e siècle, l’application pratique des nouvelles méthodes dans les zones de haute montagne se trouva limitée par le peu d’intérêt des militaires pour des régions inaccessibles. L’essor des troupes de montagne, le développement du tir indirect en artillerie, l’ambition de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000, provoquèrent un investissement grandissant des topographes militaires dans les hautes régions, qui se traduisit dans les trente premières années du 20e siècle par une série d’expérimentations et de règlements portant sur la représentation du rocher.

Confronté au problème « de faire traiter le levé du rocher par un ensemble de topographes, les uns experts, les autres novices aux travaux de grande montagne, et doués de facilités artistiques très inégales en matière de dessin non géométrique », le SGA envoya en 1907 « une mission d’étude sur place de la figuration artistique du rocher en montagne, […] confiée pendant un mois à deux dessinateurs topographes professionnels de la Section de Cartographie, MM. Trinquier et Protin, en vue du dessin des feuilles alpines de la carte au 50.000e »1171. Les conclusions de cette mission aboutirent à une nouvelle organisation du levé, dans laquelle « les opérateurs [substituaient] à la figuration artistique du rocher de simples croquis schématiques destinés à fournir aux dessinateurs professionnels tous les éléments essentiels d’une représentation raisonnée et vraie des grands escarpements ». Ces nouvelles règles donnèrent « des résultats […] assez encourageants pour qu’il y [eût] lieu de persévérer dans cette voie en s’efforçant d’obtenir que les caractères susceptibles de différencier les grandes masses rocheuses [fussent] bien compris et exprimés fidèlement »1172. Les feuilles alpines du 1 : 50 000 déjà aux mains des dessinateurs furent complétées par des croquis réalisés spécialement sur place par le directeur de l’école des dessinateurs-topographes du service.

Cette nouvelle organisation est à comprendre comme une tentative pour laisser l’interprétation artistique du rocher au seuls dessinateurs, en chargeant les officiers-topographes de dresser des croquis des masses rocheuses plus scientifiques que les dessins à l’effet qu’ils réalisaient auparavant directement sur les minutes. Encore dominés par les seuls besoins militaires, les travaux du SGA se concentraient sur une figuration du rocher dont le but n’était pas la « vérité » dans le sens artistique du terme, mais la position précise et facilement identifiable des masses rocheuses pour déterminer les cibles et les passages qui seuls importaient aux troupes sur le terrain. Cette volonté, « scientifique » dans sa recherche de l’efficacité objective plus que de l’expressivité subjective, se révélait d’ailleurs dans le vocabulaire employé par le SGA qui parlait d’obtenir une « représentation raisonnée et vraie ».

Notes
1170.

Voir supra, partie 2, chapitre 4.3.

1171.

Rapp. SGA 1907, p. 17.

1172.

Rapp. SGA 1908, p. 18.