Dans la conception que les topographes-alpinistes se faisaient de la figuration du rocher, se retrouvait la même opposition fondamentale entre une approche scientifique censée être rigoureuse et objective, « raisonnée », et une approche artistique teintée d’une inévitable subjectivité. La séance du 8 mars 1912, par le détail et la longueur des réflexions critiques qui y furent présentées, est particulièrement représentative de cette ambiguïté.
D’un côté, les membres de la Commission reprochaient à la nouvelle carte de France la mauvaise intelligence du terrain, c’est-à-dire sa mauvaise interprétation scientifique, qui avait donné un dessin inexact et conventionnel du rocher, sans « l’étude minutieuse des escarpements et des arêtes […] de l’Atlas Siegfried »1181 par exemple, et qui faisait que « d’un bout à l’autre de la feuille de Tignes, le rocher [était] représenté de la même manière »1182. Cette tendance à vouloir appliquer à la représentation du rocher la même approche objective qu’à la mesure du relief pour le tracé des courbes de niveau, se traduisait notamment dans la croyance que les officiers du SGA pouvaient arriver « à tout le degré de la perfection possible »1183 par une meilleure compréhension de la topographie et l’application de règles rationnelles.
D’un autre côté, les membres reprochaient à cette figuration du rocher d’être « peu expressive », « pas assez “parlante” », d’une « vérité banale »1184, un ensemble de critiques inscrites dans le champ lexical de la représentation artistique. Je trouve que la subjectivité évidente dans ce domaine se reflétait particulièrement bien dans l’échec des membres à définir une référence unique : certains jugeaient que les feuilles de l’Atlas Siegfried présentaient le meilleur dessin du rocher, d’autres que les cartes de Franz Schrader leur étaient supérieures, d’autres encore citaient les exemples moins classiques des cartes du Club alpin austro-allemand ou des levés topographiques de Matthes en Arizona et en Californie.
Selon moi, l’ambiguïté de la position des topographes-alpinistes trouvait son origine dans leur environnement culturel et dans les besoins pratiques des alpinistes. Comme je l’ai déjà montré, tous les topographes-alpinistes s’inscrivaient dans le modèle de l’excursionnisme cultivé qui concevait la découverte de la montagne dans ses deux dimensions scientifiques et esthétique. Développée avec l’essor des conceptions modernes de la glaciologie et de la géomorphologie, leur rationalité scientifique se trouvait limitée par leur héritage romantique dans lequel persistait une approche poétique, lyrique, voire sentimentale de la haute montagne. Pour autant, les masses rocheuses constituaient un véritable problème pour l’alpiniste qui, contrairement au militaire, ne cherchait pas à les éviter mais bien à les franchir : leur représentation ne pouvait donc être seulement expressive, mais devait également contenir des informations pratiques à une époque où se développaient l’alpinisme sans guide et l’escalade pure1185, deux pratiques avides de sources documentaires.
PV Com. Topo. CAF. Séance du 8 mars 1912, p. 22.
Ibid., p. 27.
Ibid., p. 17.
Ibid., p. 22.
En particulier avec le groupe des rochassiers, qui donna naissance au Groupe de haute montagne. Ses membres commencèrent dès le début du siècle à s’entraîner pendant l’hiver à l’escalade pure sur les rochers de la forêt de Fontainebleau, adoptant et développant de nouvelles techniques sportives. HOIBIAN Olivier. Les Alpinistes en France. Op. cit.