4.2.3.5. L’intérêt touristique et la naissance des topo-guides.

Je pense d’ailleurs qu’en plus du souci scientifique de rendre les caractéristiques géologiques des masses rocheuses et du souci esthétique de glorifier la montagne par la carte, l’importance du souci touristique dans les œuvres des topographes-alpinistes ne doit pas être négligée. Henri et Joseph Vallot avaient par exemple explicitement choisi de le privilégier dans le dessin topographique de leur carte du massif du Mont-Blanc :

‘« Nous nous sommes fixés pour objectif de donner du rocher la représentation qui fût la mieux adaptée aux besoins de ceux à qui elle est vraiment destinée, c’est-à-dire des alpinistes, parce que le principal service que les usagers attendent d’une carte est la possibilité d’y trouver leur chemin […]. Nous avons donc rationnellement choisi sur les lignes d’intersection des faces entre elles, comme sur les faces elles-mêmes, une représentation topographique qui fait saillir les crêtes, arêtes et couloirs, c’est-à-dire les lignes directrices de l’architecture, parmi lesquelles figurent le plus souvent les voies d’ascension. »1186

Cette approche pratique trouvait ses limites dans la surface particulièrement réduite représentant les masses rocheuses les plus verticales sur une carte. Sous l’influence du développement de l’alpinisme sans guide, des descriptions d’itinéraires adoptèrent peu à peu le croquis en vue verticale pour illustrer les voies d’ascension avec des détails plus pertinents pour l’alpiniste qu’un tracé sur une carte. Encore relativement rare entre 1870 et 1910, quand les auteurs de recueils d’itinéraires et de récits de course étaient encore majoritairement des partisans de l’alpinisme avec guide, le procédé s’imposa avec les guides publiés par les Suisses Kurz et Dübi, en particulier le Guide de la Chaîne du Mont-Blanc (seconde édition, 1914), et surtout avec les Guides Vallot en France, dont la publication fut rapidement assurée par Lucien Devies. Ces derniers répertoriaient tous les itinéraires connus et les présentaient à l’aide d’une série de croquis perspectifs figurant sous tous les angles intéressants les voies d’ascension1187.

Comme la figuration du rocher sur les cartes, ces croquis en vue verticale mêlaient les deux approches scientifique et artistique, la surface supérieure représentée permettant d’intégrer plus de détails géologiques mais aussi des éléments décoratifs comme les arbres. Cependant, l’orientation pratique plus marquée de ces croquis, qui ne visaient pas comme les cartes à être un tableau de la montagne, privilégiait l’aspect rationnel de la représentation sur l’aspect esthétique. Mais la persistance de l’héritage figuratif, jugé complémentaire de l’approche scientifique, ne fut véritablement remise en cause qu’avec les débuts de l’automatisation et le fantasme d’une objectivité totale de la représentation du relief et du rocher.

Notes
1186.

Cité par VALLOT Guillaume. Le Chemin qui n’existait pas. L’Alpes, 2000, 7, p. 19.

1187.

VALLOT Guillaume. Le Chemin qui n’existait pas. Op. cit., p. 14-22.