4.3.2. Un compromis entre les représentations géométrique et figurative du rocher.

4.3.2.1. L’influence des topographes-alpinistes sur les nouvelles règles pour le dessin du rocher au SGA.

Le SGA se trouvait partagé entre les partisans d’une représentation topométrique du rocher, basée sur l’emploi unique des courbes de niveau, et les partisans d’une représentation plus artistique, basée sur un rendu à l’effet inspiré des caractéristiques géologiques des massifs rocheux. Cependant, aux échelles inférieures au 1 : 10 000, la représentation géométrique détaillée en projection horizontale d’éléments topographiques quasiment verticaux tenait – et tient toujours – de la quadrature du cercle. Le SGA reconnaissait que « le problème de la représentation des parties rocheuses [était] pour ainsi dire insoluble » et prêtait à « des conceptions très diverses », si bien qu’ « en dépit des progrès qu’il [pourrait] réaliser dans la figuration des hautes régions, [il devait] renoncer […] à donner entière satisfaction à toutes les catégories d’intéressés, aux alpinistes, aux géologues, aux glaciologues, etc. »1199 Mais comme les cartes de France au 1 : 20 000 et 1 : 50 000 étaient explicitement destinées à satisfaire tous les publics, et que la diversité des utilisateurs s’était accrue depuis le 19e siècle, la question ne fut pas tranchée de façon aussi nette que pour la carte d’état-major qui ne devait prendre en compte que les utilisations militaire et administratives.

Dans la deuxième moitié des années vingt, en plus des expérimentations de 1923-1925, le SGA étudia les autres publications alpines reconnues pour la qualité de leur représentation de la haute montagne : les cartes suisses et autrichiennes, ainsi que les œuvres de Franz Schrader, des Vallot et de Robert Perret. Il demanda également l’avis de la Commission des travaux scientifiques du Club alpin français, dont les membres compétents se prononcèrent naturellement pour une figuration à l’effet confiée à des spécialistes, après avoir étudié et détaillé les qualités et défauts des courbes restituées au stéréoautographe :

‘« A la suite de la longue discussion qui eut lieu à la Commission scientifique du Club Alpin Français, qui tint presque trois séances et à laquelle prirent part Paul Girardin, Paul Helbronner, Wilfrid Kilian, Emmanuel de Margerie, Emmanuel de Martonne, le Commandant Maury, le Lieutenant-Colonel Noirel, Robert Perret, etc., il fut admis que le stéréoautographe rendait bien les grands épaulements, les hauts pâturages, et qu’il les donnait même avec une délicatesse qu’aucun autre procédé ne saurait égaler, mais qu’il ne pouvait suppléer la planchette pour les fonds de ravins escarpés ou les parcours sous bois et qu’il était nettement inférieur à la méthode photogrammétrique normale inventée par Laussedat, perfectionnée par Deville et par Henri Vallot, pour le rendu des masses rocheuses ; ce dernier procédé étant par contre moins rapide au bureau et plus onéreux. Le stéréoautographe ne traduit pas exactement par ses courbes la forme aiguë du rocher en haute montagne et ce défaut est dû à ce que c’est un instrument soumis à des forces d’inertie et qu’il y a un retard dans le tracé du style, donc un certain flottement de la courbe. »1200

Finalement, le SGA choisit d’adopter un compromis entre les représentations géométrique et artistique. Il fixa donc « une formule qui, tout en conservant à la carte son caractère de levé précis, [paraissait] devoir conduire à une figuration suffisamment expressive du rocher »1201. Ses principes généraux étaient les suivants :

‘« La minute du levé, obtenue par restitution stéréoautographique ou par levé direct à la planchette, est exécutée entièrement en courbes de niveau. La représentation en courbes, avec pour le rocher une couleur différente de celle appliquée au terrain meuble, est employée jusqu’à une pente limite (65 grades environ ou 160 %) au-dessus de laquelle est réservée la mise à l’effet au moyen de hachures.
Cette mise à l’effet est, en principe, obtenue par un hachuré horizontal (parallèle aux courbes), d’autant plus dense que la pente est plus forte.
Les lignes de crêtes sont mises en évidence par un éclaircissement obtenu, soit par interruption ou affaiblissement du trait des courbes, soit par l’aménagement d’un petit espace blanc entre les hachures des versants opposés. Mais, lorsque la crête est jalonnée de dents rocheuses, d’aiguilles, le dessinateur doit en faire ressortir le caractère déchiqueté en interrompant de temps en temps la ligne blanche indiquant la crête et en représentant par un dessin conventionnel les aiguilles qui méritent particulièrement l’attention.
Dans les grands escarpements, l’effet de verticalité est renforcé par l’addition au hachuré horizontal de quelques traits perpendiculaires ou même par l’emploi exclusif d’un hachuré vertical. En outre, le relief est rendu plus expressif par l’emploi systématique de l’éclairement oblique, de manière à “foncer”, aux abords des crêtes, le versant supposé dans l’ombre. En principe, l’éclairement adopté est celui de la lumière venant de l’angle Nord-Ouest de la feuille ; mais, dans certains cas particuliers où la direction des versants ne prête pas à l’utilisation de ce sens d’éclairement, le dessinateur adopte le sens le plus propre à donner l’impression du relief.
[…] Bien entendu, la formule exposée ci-dessus doit être appliquée avec souplesse. Trop de rigidité rendrait la carte monotone et ne permettrait pas d’individualiser les aspects si variés, les caractères locaux, que présentent les masses rocheuses quand on les considère sur le terrain ou sur les photographies. »1202

Selon moi, ces nouvelles règles étaient justifiées par un ensemble complexe de raisons, parmi lesquelles l’influence encore forte des topographes-alpinistes et de leur préférence pour une représentation à l’effet du rocher donnant la structure locale de chaque masse rocheuse, mais aussi les limitations techniques du stéréoautographe, la conception généraliste des cartes de France, et l’existence au SGA d’un groupe informel de topographes alpins capables d’établir un dessin expressif du rocher.

Notes
1199.

Rapp. SGA 1924-25, p. 34-35.

1200.

Travaux du Service Géographique de l’Armée dans les Alpes en 1925. La Montagne, 22, n°188, janvier 1926, p. 25-26.

1201.

GENDRE F. La feuille de « La Grave ». Op. cit., p. 253.

1202.

Ibid., p. 253-254.