4.3.2.3. Les limites de l’orientation industrielle.

La nouvelle méthode de représentation du relief formalisée au SGA à la fin des années vingt était définie pour être « d’une application assez simple et à la portée de topographes, bon dessinateurs bien que n’étant pas des artistes au sens réel du mot », une « condition essentielle puisque c’[était] le topographe lui-même qui, en s’aidant de croquis exécutés sur place et de photographies prises au cours de la campagne, [devait] arrêter la représentation définitive du rocher »1204. Ainsi, cette méthode marquait non seulement un recul de la tentation topométrique alimentée par les fantasmes d’automatisation engendrés par l’utilisation du stéréoautographe, mais aussi une restriction des tentatives d’industrialisation.

En effet, en confirmant des méthodes de représentation du relief qui privilégiaient la compétence et la connaissance du terrain des officiers-topographes à plusieurs stades des opérations (bases stéréotopographiques, compléments à la planchette, dessin du rocher), le SGA limitait, dans les régions accidentées, ses possibilités d’organisation industrielle dont la nécessité avait pourtant été affirmée par le colonel Bellot dès le début des années vingt. Je pense que cette position reflétait un pragmatisme dicté par la situation des travaux alpins. Le contexte cartographique des années vingt n’était pas favorable à une remise en cause d’une pratique encore majoritairement artisanale du travail topographique, en particulier dans les Alpes. Les topographes-alpinistes encore très actifs formaient un public exigeant, compétent et influent, qui imposait une vision du topographe alpin spécialisé. Souvent rédacteurs dans les principales revues d’alpinisme, ils constituaient une des clés d’accès au public de plus en plus large des alpinistes sans guides, grands consommateurs de cartes.

Surtout, l’évolution récente du SGA s’inscrivait dans une dynamique de réponse aux besoins des alpinistes pour se substituer à une production cartographique « concurrente » relativement importante qui mettait en cause l’unicité de la représentation du territoire1205. Son investissement dans la topographie alpine, qui procédait essentiellement de cette dynamique, avait favorisé l’apparition d’un petit groupe informel d’officiers-topographes alpins. Assez paradoxalement, l’essor de la méthode stéréotopographique, qui permettait d’envisager une industrialisation du travail topographique, avait en fait également participé à la formation de ce groupe d’excellents artisans, dont une partie s’était formée sur le terrain au cours des différentes expérimentations de cette méthode. Le SGA disposait donc d’officiers très compétents, capables d’encadrer le travail des autres topographes, de prendre en charge les opérations les plus difficiles, notamment dans l’interprétation topographique du terrain pour sa représentation à l’effet ou la retouche des courbes trop inexpressives, et d’obtenir des résultats satisfaisant même les alpinistes particulièrement difficiles. Les surfaces concernées par une figuration du rocher délicate restant relativement limitées à l’échelle de la France, la situation ne nécessitait pas une tentative tenace d’industrialisation que les limites techniques de la stéréotopographie terrestre et les crédits disponibles rendaient difficilement réalisable.

Notes
1204.

Ibid., p. 253.

1205.

Voir supra, partie 3, chapitre 2.1.2.1.