Conclusion

A la fin du 19e siècle, la généralisation de la représentation du relief par courbes de niveau avait été favorisée par l’orientation scientifique de plus en plus affirmée de la cartographie – c’est-à-dire sa fondation sur la mesure instrumentale directe du terrain. Cependant, l’emploi des courbes posait encore de nombreux problèmes, en particulier au niveau de l’expressivité de la figuration du relief que de nombreux utilisateurs jugeaient toujours fondamentale. Dans les premières décennies du 20e siècle, un effort de normalisation de la représentation du relief se manifesta donc parallèlement dans les cartographies officielle et indépendante. Au SGA, la conjonction des mutations conceptuelles récentes et d’une tradition figurative encore forte participa à l’adoption pour la nouvelle carte de France au 1 : 50 000 de spécifications particulièrement luxueuses, appelées type 1900. Ces spécifications marquaient certes une rupture importante avec la carte d’état-major par l’adoption d’une projection conforme, de l’héliogravure et des courbes de niveau, en accord avec l’évolution contemporaine de la cartographie vers une plus grande rigueur scientifique. Mais en bien d’autres points, elles restaient profondément inscrites dans la tradition fixiste qui avait dominé la réalisation de la précédente carte de France, en particulier avec le choix d’une représentation complexe qui tentait de répondre aux ambitions d’universalisme et de figuratisme traditionnelles de cette conception de la cartographie, mais empêchait l’utilisation efficace et la révision rapide demandées par la conception utilitariste. Partagé entre des ambitions contradictoires, le type 1900 constituait une œuvre de transition « mal née », dans laquelle le souci de répondre à des besoins divers se traduisait plus par la multiplication des niveaux de représentation que par l’adoption d’une représentation simple et efficace adaptée à ces besoins.

Au lendemain de la première guerre mondiale, poussé par les difficultés budgétaires et le retard général de la nouvelle carte de France, le SGA définit de façon pragmatique un type 1922 qui permettait d’envisager une accélération des travaux par la simplification de la représentation cartographique et du procédé de rédaction. Pour la figuration du relief, les nouvelles spécifications se basaient, comme le type 1900 et de nombreuses cartes de topographes-alpinistes, sur le modèle des topographes suisses : courbes de niveau, trois couleurs de base (noir pour le rocher, bleu pour les glaciers, bistre pour les courbes), et rocher dessiné à l’effet, c’est-à-dire représenté par un croquis perspectif illustrant la structure particulière de chaque masse rocheuse. La généralisation rapide de ce modèle ne devait rien à la fausse naturalité que lui procura son assimilation culturelle, mais procédait surtout, selon moi, de la reprise d’un code figuratif déjà présent dans les gravures du 18e siècle et d’une simplicité favorisant une apparente objectivité scientifique. Il posait aussi des bases stables susceptibles d’être enrichies d’éléments répondant à des besoins particuliers, s’inscrivant ainsi parfaitement dans la conception utilitariste qui recherchait moins l’homogénéité de la représentation cartographique que son adaptation aux utilisations particulières.

En permettant le tracé mécanique des courbes de niveau, la restitution des levés photographiques au stéréoautographe alimenta des fantasmes d’automatisation d’une représentation entièrement géométrique, basée sur les seules courbes de niveau. Après que plusieurs essais eurent montré l’inefficacité d’une figuration en courbes seules des masses rocheuses, le SGA expérimenta différentes méthodes reposant sur la modification du tracé des courbes pour rendre la nature particulière du terrain. Sous l’influence des topographes-alpinistes, expressément consultés par le service officiel pour leur expertise dans le domaine de la figuration du relief, le SGA opta finalement pour un système de représentation qui constituait un compromis entre les approches géométrique et figurative. Même si la géométrisation se trouvait sensiblement accrue par rapport aux méthodes employées pour les anciens levés de précision, cette formalisation de la représentation du relief marquait un net recul de la tentation topométrique qui s’expliquait par les limitations techniques de la restitution au stéréoautographe et la conception généraliste des cartes de France. Elle marquait également la persistance d’une pratique artisanale pour la représentation détaillée de régions dont la surface limitée ne méritait pas un effort d’industrialisation coûteux, d’autant plus que le SGA disposait d’un groupe informel de topographes alpins compétents, susceptible de mener à bien ces opérations.