Partie 4. Normalisation et industrialisation autour des levés aériens : le déclin de la spécificité alpine (1930-1970).

Entre 1870 et 1930, une succession de mutations avait affirmé la prépondérance de la conception utilitariste dans la cartographie topographique, préparant une double évolution scientifique et industrielle marquée par la généralisation de la mesure instrumentale du terrain et l’émergence d’une certaine division et mécanisation du travail. Mais l’industrialisation se trouvait bridée par les restrictions budgétaires récurrentes et les possibilités limitées d’application des levés photographiques terrestres, seulement efficaces dans les régions au relief accidenté qui ne représentaient qu’une petite surface du territoire français. Elle restait pourtant l’axe d’évolution privilégié par la direction du SGA depuis le début des années vingt, motivée notamment par le potentiel des levés aériens expérimentés pendant la première guerre mondiale. En cherchant à accroître le rendement des opérations par l’industrialisation des procédés, la direction du SGA remettait en question une pratique demeurée majoritairement artisanale, en particulier dans les régions de haute montagne sous l’influence des topographes-alpinistes1207. Nous avons vu que, depuis les levés de la carte d’état-major, la couverture cartographique des Alpes du nord avait toujours été exécutée avec des méthodes spécifiques, très différentes de celles employées pour le reste du territoire national. Cette spécificité constituait un obstacle à la normalisation et à l’industrialisation des procédés cartographiques, ajoutant une raison supplémentaire à l’attention particulière que portait le service cartographique officiel à la représentation des Alpes du nord depuis la fin du 19e siècle. En cela, la couverture de cette région constitue un cas particulier mettant en valeur les mutations à l’œuvre dans la cartographie topographique française au 20e siècle.

Au niveau institutionnel, le développement de cette cartographie fut marqué par la transformation du service officiel d’un organisme militaire à un organisme civil de service, évoluant vers une industrialisation de la cartographie, que ce soit pour la gestion de son personnel, les rapports avec l’autorité étatique, ou l’orientation de ses travaux. Au niveau technique, il fut dominé par la généralisation rapide des levés aériens. Expérimentées pendant la première guerre mondiale, les applications topographiques de la photographie aérienne furent pendant plus d’une décennie confrontées au problème de la restitution du relief, finalement résolu par une active recherche technologique inspirées des progrès de la photogrammétrie terrestre. Au cours des années trente et quarante, la généralisation des levés aériens pour la couverture des Alpes eut pour conséquence la perte des caractéristiques spécifiques des opérations dans cette région. Finalement, la volonté d’industrialisation se traduisit également par une mutation majeure des procédés de rédaction cartographique et par la résurgence de la tentation topométrique, toujours justifiée par la « nécessité » scientifique.

Notes
1207.

Voir supra, partie 3.