Dans l’évolution de la cartographie officielle française, la deuxième guerre mondiale marqua le passage d’un service militaire à un institut civil. Les rares auteurs abordant cette transformation la présentent toujours comme une réalisation opportuniste s’inscrivant dans la continuité de l’évolution du Service géographique de l’armée. Créé pour soustraire le service cartographique à l’occupant allemand, cet institut civil aurait ainsi reçu en héritage du SGA son personnel, son équipement et sa mission – l’utilisation systématique du terme « héritage » soulignant l’évidence de cette continuité. Dans l’étude de loin la plus complète sur l’histoire institutionnelle de l’Institut géographique national (IGN), publiée par l’institut lui-même, l’ancien ingénieur géographe Alain Sinoir inscrit normalement cette transformation dans la succession des bornes menant à l’institut d’aujourd’hui : « l’héritage » du SGA, la « naissance » de l’IGN en 1940, la « consolidation » en 1945-1946, « l’expansion et les problèmes budgétaires » entre 1947 et 1963, « la modernisation et la crise » de 1964 à 1973, « la mutation imposée » entre 1974 et 1980, la « décennie de profonds changements » de 1981 à 19901208.
L’importance du passage dans le domaine civil, d’autant plus radical qu’il n’avait jamais été envisagé depuis la Commission royale de 1817-1826, fut ainsi systématiquement diminuée par un discours le décrivant comme une réforme depuis longtemps nécessaire, tout en insistant sur son caractère de continuité. Après presque un siècle et demi de cartographie strictement militaire, il me semble pourtant que cette transformation marquait une rupture plus signifiante qu’on ne l’a présentée. Tout en prenant en compte l’essentiel des données factuelles que présente Alain Sinoir, ainsi que la périodisation pertinente qu’il adopte – l’histoire institutionnelle impose en effet souvent les bornes évidentes que constituent les réformes statutaires –, mon analyse adoptera une perspective plus large que les études existantes, essentiellement administratives, qui ignorent l’évolution conceptuelle de la cartographie. Plus qu’aux ruptures et changements conjoncturels, je m’intéresserai aux problèmes persistants du service cartographique que furent la stabilisation du personnel qualifié et l’autonomie de fonctionnement, en replaçant leur évolution dans ma problématique fondamentale du passage d’une conception fixiste à une conception utilitariste, dominée au niveau institutionnel par la question de l’industrialisation des procédés cartographiques.
Tous ces termes sont repris des titres des différentes parties de SINOIR Alain. 1940-1990 : une histoire mouvementée. Paris : Institut géographique national, avril 1999, 148 p. (Collection Les cahiers historiques de l’IGN, n°1).