1.1.2.2. L’autonomie de fonctionnement dans une perspective industrielle.

Dans ce cadre strictement militaire, le rapport de Hurault reprenait donc des revendications anciennes. En premier, il soutenait la nécessité d’une autonomie plus grande du service par rapport à l’administration militaire. Cette revendication avait déjà été ardemment défendue par les directions du général Pelet (1831-1849), du général Perrier (1882-1888), qui avait d’ailleurs obtenu la création du SGA dans ce but, et du général Berthaut (1903-1912). Bien que la situation ait considérablement évolué depuis le Dépôt de la guerre, le SGA restait encore très dépendant de l’Etat-major de l’armée en 1938. Ce dernier s’imposait comme un intermédiaire obligatoire entre le service et la Commission de contrôle, ralentissant les opérations financières importantes, comme les délégations de crédits et les approbations de marchés, et limitant l’indépendance du SGA dans l’orientation des travaux. Hurault insistait donc sur la nécessité de donner une véritable autonomie financière au SGA. Pour cela, il proposait une première réforme qu’il jugeait indispensable : « en faire une Direction du Ministère de la Guerre, seule solution susceptible de lui donner une situation nette, de faciliter et de simplifier toutes ses relations et tractations avec les autres Directions de l’Administration Centrale et avec les autres Départements Ministériels, et de donner à son Directeur le moyen de se consacrer à sa tâche principale »1224 – qui restait la direction technique plus que financière du service.

Sur ce point, le rapport n’innovait que dans son argumentation pour la nécessité d’une telle autonomie. Hurault soutenait en effet que la séparation entre le SGA et l’Etat-major permettrait au premier « d’évoluer plus librement dans un sens réellement industriel »1225, ce qui constituait la première référence officielle de la direction du service au modèle de l’industrie. J’ai déjà souligné comment la rationalisation de l’organisation interne du service pouvait être interprétée comme une adoption du modèle industriel de l’efficacité et du rendement. La priorité donnée au développement des levés aériens, avec l’idée d’augmenter le rendement des travaux cartographiques par une solution technologique, en était une des illustrations pratiques, en particulier avec les possibilités de division de travail que cette méthode offrait – une notion qui s’était imposée dans l’industrie occidentale dans les premières décennies du siècle1226. Le rapprochement que faisait Hurault entre l’autonomie financière et l’évolution industrielle procédait de la nécessité, imposée par ce développement technologique, de disposer d’une liberté et d’une réactivité plus grande dans la direction des expérimentations et dans l’équipement des services en matériel coûteux.

Mais la référence au modèle industriel ne se limitait pas à la seule justification d’une plus grande autonomie. Elle se retrouvait dans d’autres propositions du rapport Hurault, notamment celles qui concernaient le personnel civil. Les demandes d’augmentation rapide des effectifs, de création d’une nouvelle catégorie de restituteur et de régularisation de certains postes techniques dans la reproduction, participaient d’une volonté d’accroître le « potentiel productif » du service par l’engagement d’« ouvriers spécialisés », pour reprendre des termes du champ lexical de l’industrie. Dans le même cadre de référence industriel, Hurault proposait aussi l’adoption d’un fonctionnement planifié dans lequel l’Etat-major ne serait consulté que pour l’approbation d’un programme d’ensemble des travaux, établi par exemple tous les quatre ans. Pour la première fois, la direction du SGA se prononçait pour une programmation pluriannuelle des travaux que tous les spécialistes jugeaient indispensables parce qu’elle permettrait d’assurer au service des crédits plus réguliers – mais cette disposition ne fut finalement adoptée qu’en 1986.

Il me semble évident que l’utilisation du modèle industriel, alors que l’activité du service ne consistait pas en la transformation d’une matière première en un produit, traduisait l’insistance de la direction sur le rôle utilitaire du service, comme fournisseur de produits cartographiques aux usagers civils et militaires. Hurault rejetait ainsi la dimension artistique traditionnelle de la cartographie et mettait en avant une dimension technique censée être plus objective. Cette double volonté d’industrialisation et de technicisation marquait ainsi l’adoption définitive de la conception utilitariste de la cartographie, au sein d’un paradigme du développement scientifique que j’ai déjà décrit1227, même si elle n’eut pas de conséquences concrètes avant la fin des années quarante.

Notes
1224.

Cité dans Ibid., p. 8.

1225.

Cité dans Ibid., p. 7.

1226.

Voir infra, partie 4, chapitre 2.

1227.

Voir supra, partie 2, chapitre 4.3.