1.2.2.3. La réorganisation du dispositif d’information cartographique.

Plus que l’autonomie de gestion limitée, par les circonstances, je considère que la principale conséquence du nouveau statut civil de l’IGN fut la réorganisation du dispositif d’information cartographique et géographique des services publics, une révision trop sous-estimée dans les études sur la création de l’IGN. La loi du 8 avril 1941 et une série de mesures postérieures affirmèrent la place de l’institut dans ce dispositif et son rôle de fournisseur de service aux organismes publics. En favorisant une certaine concentration et rationalisation de l’organisation des travaux géographiques, le statut civil joua pleinement un rôle de catalyseur du virage industriel et utilitaire de l’IGN.

Ainsi, l’intégration au nouvel institut du service du nivellement général de la France, créé en 1884, procédait d’une volonté de concentration horizontale typique du monde industriel. Alors que le SGA n’avait exécuté le nivellement de précision que dans certaines possessions d’outre-mer, l’IGN disposait maintenant de tous les moyens pour établir le réseau géodésique national sur lequel se basait la carte de France. Mais malgré ce rattachement, l’institut ne disposait pas du monopole sur les travaux topographiques officiels, contrairement aux services cartographiques de la plupart des pays européens. En particulier, il restait strictement séparé du cadastre qui s’opposait à toute forme de collaboration en vertu de son rattachement particulier au ministère des Finances : l’organisation d’une telle collaboration se heurta une nouvelle fois, en février 1942, au refus traditionnel de rattacher les différents organismes, mais un Comité central des travaux géographiques (CCTG) fut toutefois créé en août 19421244.

Celui-ci obtint en novembre 1943 la signature d’un arrêté unifiant les travaux topographiques autour de l’IGN et du cadastre : il rendait obligatoire de baser sur la nouvelle triangulation et le nivellement général de la France tous les travaux topométriques ou topographiques officiels couvrant au moins mille hectares, imposait l’utilisation exclusive des systèmes de coordonnées rectangulaires Lambert et du grade comme unité d’angle, et accordait un droit d’exploitation gratuit des résultats de ces travaux à l’IGN pour les échelles inférieures ou égales au 1 : 5 000 et au Cadastre pour les échelles supérieures1245. Cet arrêté assurait ainsi la centralisation des travaux au sein de deux organismes publics. En pouvant disposer légalement de tous les levés aux échelles supérieures ou égales à 1 : 5 000, l’IGN devenait le producteur central de l’information topographique en France, un rôle que le SGA n’avait jamais pu imposer à cause de son statut militaire. Sa domination était d’autant plus totale qu’il était devenu le pivot de la formation à tous les métiers de la cartographie. En effet, un décret d’avril 1941 avait créé une Ecole nationale des sciences géographiques (ENSG) en son sein1246, afin d’assurer le recrutement de son personnel qualifié, mais aussi celui des autres ministères, puisqu’un Conseil de perfectionnement de l’ENSG avait été chargé d’assurer l’adaptation de son enseignement aux différents ministères intéressés.

Notes
1244.

Il remplaçait le Conseil général de géographie prévu dans les statuts de l’IGN par le décret du 8 avril 1941, « pour étudier les questions d’ordre général intéressant l’Institut Géographique National » et « donner son avis sur les affaires renvoyées à son examen par le secrétaire d’Etat aux communications », sorte de comité d’experts cumulant les fonctions de l’ancien Bureau des notices et de la plus ancienne encore Commission centrale des travaux géographiques. Voir Article 5 du décret du 8 avril 1941 reproduit dans Ibid., p. 28-29.

1245.

Les échelles supérieures à 1 : 5 000 étaient essentiellement utilisées pour le cadastre, les travaux des géomètres-experts libéraux, et les levés locaux exécutés par certaines entreprises publiques disposant d’un bureau topographique.

1246.

Organisée par un arrêté ministériel du 24 septembre 1941, l’ENSG avait accueilli en octobre 1941 sa première promotion d’élèves, formée de cinquante-sept stagiaires issus de recrutements exceptionnels et de soixante-trois élèves fonctionnaires recrutés sur concours : six élèves ingénieurs géographes sortant de l’école Polytechnique, quinze élèves ingénieurs des travaux géographiques de l’Etat, seize élèves cartographes et vingt-six adjoints techniques stagiaires.