1.2.3.2. Une activité maintenue malgré les difficultés.

Malgré des conditions particulièrement difficiles, l’Institut géographique national maintint son activité pendant presque toute la période de l’occupation. Elle se heurta bien évidemment aux problèmes généraux de toute la France, entre autres les restrictions alimentaires, la limitation des déplacements, les pénuries de matières premières et de transports, mais aussi à des difficultés plus spécifiques. Le contrôle imposé par les Allemands ralentissait singulièrement la mise en place de toutes les opérations de terrain, qui pouvaient être annulées ou interrompues pour raisons militaires quand les régions concernées devenaient sensibles. Particulièrement strict au début de l’occupation, le contrôle se relâcha peu à peu, même si une grande partie de la zone occupée était interdite aux brigades de l’institut, en particulier le nord-est où se concentraient pourtant les travaux commencés par le SGA avant la guerre. Les travaux sur la frontière alpine furent également interdits par les autorités militaires italiennes. Au niveau du personnel, le statut civil et l’occupation de la France avaient retiré à l’IGN le soutien logistique et humain de l’armée dont le SGA avait largement profité. L’embauche d’aides diverses pour les brigades devenait de plus en plus difficile au fur et à mesure que se développait le travail obligatoire. De plus, malgré le contrôle étroit de leur activité, les agents de l’IGN avaient régulièrement des contacts avec la résistance, en particulier grâce à leur présence durable sur le terrain, et une centaine d’entre eux finit par rejoindre les maquis1251.

Pourtant, à l’exception de l’été 1944 où toutes les autorisations furent suspendues, l’IGN put réaliser un certain nombre de travaux de terrain. Après quelques opérations locales menées en 1940 en Aquitaine, dans les régions où s’étaient repliées les différents services, l’activité ne reprit vraiment qu’en 1941. Tout le spectre des travaux fut couvert, avec des opérations géodésiques, des préparations et des complètements photogrammétriques sur le terrain, des restitutions en ateliers. L’activité de reproduction de cartes fut particulièrement développée. L’IGN devait fournir des feuilles aux militaires allemands dans les mêmes conditions qu’aux administrations françaises, et les occupants utilisèrent une partie des capacités d’impression de l’institut pour tirer leurs propres cartes. A la libération de Paris, l’IGN fournit un effort intensif de reproduction de cartes pour les troupes alliées, tirant un total de vingt millions de feuilles en l’espace de neuf mois1252. Pour pallier au manque de papier, certaines feuilles furent imprimés au verso des nombreux tirages abandonnés par les Allemands. Une partie des effectifs des services de géodésie et de topographie servit d’ailleurs en renfort pour la 4e direction. Une autre partie du personnel, dont le directeur, fut mobilisée à partir de septembre 1944 pour former le Service géographique militaire (SGM) et satisfaire les besoins cartographiques des armées françaises et alliées1253. Sa démobilisation à partir de mai 1945 permit la remise en route des travaux de terrain.

Comme les ingénieurs géographes pendant les changements de régime entre 1814 et 1815, l’IGN traversa finalement sans trop de difficulté une période particulièrement trouble. Je pense que l’expertise technique indispensable de l’institut participa à son intangibilité qui n’est pas sans rappeler, dans une moindre mesure toutefois, l’impunité des scientifiques nazis. Les rapports d’activité, publiés après la libération, insistèrent logiquement sur l’engagement du personnel de l’institut dans la résistance, puis dans le soutien aux armées en 1944-45. Mais les capacités de production de l’IGN furent intensivement exploitées tant par les Allemands que par les alliés, soulignant une nouvelle fois le rôle central des cartes dans la guerre moderne.

Notes
1251.

Pour un aperçu rapide du rôle des agents de l’IGN dans la résistance et des rapports entre l’institut et l’Etat-major allié, voir : Rapp. IGN 1943-44, p. 6-11 ; SINOIR Alain. 1940-1990 : une histoire mouvementée. Op. cit., p. 15-17.

1252.

Chiffres cités dans SINOIR Alain. 1940-1990 : une histoire mouvementée. Op. cit., p. 17.

1253.

Voir infra, partie 4, chapitre 1.2.4.