La politique d’économie budgétaire mise en place dans les services publics à partir du début des années cinquante eut un impact particulièrement lourd sur la gestion et l’emploi du personnel de l’IGN. Contrairement à d’autres services techniques extérieurs qui avaient régulièrement recours à des entreprises privées pour les travaux dont ils avaient la maîtrise d’ouvrage, l’institut faisait exécuter tous ses travaux de terrain par son propre personnel. Une partie de ses agents bénéficiait du statut de fonctionnaire, une autre partie n’avait qu’un statut « temporaire » contre lequel elle s’opposait, mais qui au niveau de la gestion était perçu par la direction comme un véritable statut « permanent », puisque ces techniciens et ouvriers qualifiés étaient engagés en contrat à durée indéterminée et que les procédures de licenciement ne furent utilisées que de façon très exceptionnelles1292.
L’IGN disposait donc effectivement d’un personnel stable et reconnu pour ses compétences spécifiques, une revendication aussi ancienne que le service cartographique officiel, mais cette stabilité du personnel devait être doublée par une stabilité des crédits pour en assurer le renouvellement régulier et permettre son plein emploi. Or les diverses commissions d’économie mises en place à partir des années cinquante agirent principalement à deux niveaux pour limiter les dépenses sans licencier de personnel : par la suppression des emplois vacants, elles diminuèrent et supprimèrent parfois le recrutement ; par la diminution constante des crédits de fonctionnement hors personnel, elles limitèrent les possibilités d’emploi de ce personnel. Cette dernière mesure fut stigmatisée comme la principale raison du ralentissement de l’activité de l’IGN, notamment par sa direction qui commençait à reconnaître l’inadaptation de l’organisation de l’institut – ce qu’Alain Sinoir appelle les « inconvénients du système »1293. Le conseiller référendaire à la Cour des comptes Jaccoud considérait d’ailleurs que le ratio critique entre les crédits de matériel et de personnel avait été atteint dès 1950.
Si les statuts empêchaient la diminution conjoncturelle du personnel pour assurer son plein emploi, les effectifs étaient de toute façon déjà insuffisants : en 1947, l’IGN ne disposait que de 1 554 agents permanents (fonctionnaires et « temporaires »), alors que le SGA en avait 1 659 en 19381294. Entre 1958 et 1964, les fonctionnaires en activité à l’IGN passèrent même de 924 à 827, soit une diminution de 10 % due à la baisse du recrutement et aux départs vers le secteur privé plus attractif pour les ingénieurs. La situation devint véritablement critique dans les années soixante. Non seulement la réalisation de la carte de France était sérieusement ralentie, mais le manque de personnel empêcha même l’IGN d’exécuter une partie des travaux financés par certains services publics. Conséquence plus grave encore, ces services firent exécuter leurs levés topographiques par d’autres organismes, notamment privés : leur hétérogénéité ne permit même pas à l’IGN de les utiliser pour son propre compte, comme l’autorisaient les dispositions légales. Finalement, l’arbitrage de la direction en faveur de ces travaux de commande remit singulièrement en cause l’autonomie de fonctionnement de l’institut.
SINOIR Alain. 1940-1990 : une histoire mouvementée. Op. cit., p. 32-33.
Ibid., p. 32.
Chiffres cités dans Ibid., p. 28.