Conclusion

L’histoire institutionnelle du service cartographique officiel est toujours présentée comme une suite de réformes nécessaires pour l’adapter aux nouveaux besoins liés à la modernisation du pays. En soulignant les ruptures évènementielles des différents changements de statuts, cette approche sous-estime trop souvent la persistance des problèmes, particulièrement anciens dans la cartographie officielle, de l’autonomie de fonctionnement et de la stabilité du personnel qualifié, et elle ignore totalement l’évolution conceptuelle plus générale de la cartographie. En cela, elle reprend la reconstruction du discours imposée par les directions successives qui présentaient chaque réforme comme une solution définitive.

Ainsi, la transition d’un service cartographique militaire à un organisme civil de service fut systématiquement présentée comme une « réforme depuis longtemps nécessaire », en même temps que l’historiographie officielle insistait sur la notion d’« héritage » et donc de filiation entre le Service géographique de l’armée et le nouvel Institut géographique national. Cette conception fut alimentée par la permanence de la direction de Hurault entre les deux organismes, qui reprit au cours des années d’occupation de nombreux éléments de la réforme avortée du SGA en 1937-1939. Si la création de l’IGN était une mesure purement opportuniste pour soustraire le SGA à l’occupant allemand, l’organisation mise en place en 1940-1941 s’inspirait en partie des propositions soutenues par Hurault avant la guerre. En particulier, elle confirmait la création de corps spécialisés dans la cartographie, constitués en décembre 1939, et elle mettait en place une certaine autonomie de gestion à laquelle s’était toujours opposé l’Etat-major de l’armée : ces deux mesures s’inscrivaient dans les revendications anciennes des directions du service cartographique de disposer d’un personnel stable et d’une autonomie de fonctionnement.

Par ces mesures et la poursuite de l’effort de rationalisation de la structure interne, l’organisation de l’IGN réalisait l’industrialisation envisagée pour le SGA, facilitée par le nouveau statut civil. Mieux intégré dans l’administration civile, l’IGN devint l’acteur central du dispositif d’information cartographique, autant au niveau de l’exploitation des travaux que de la formation aux métiers de la carte. Après sa remise en cause par les partisans d’un service cartographique militaire, la confirmation du statut civil en 1946 montrait qu’il constituait un véritable catalyseur pour l’orientation industrielle souhaitée par la direction de l’institut. Dans une perspective plus large, cette industrialisation du service cartographique s’inscrivait dans la généralisation de la conception utilitariste de la cartographie, favorisée par l’intégration dans un département plus technique avec le statut au titre révélateur de service technique extérieur. En permettant une séparation plus nette entre le créateur de la carte et son bénéficiaire qu’à l’époque du service cartographique militaire, ce nouveau statut affirmait le rôle d’outil objectif de la carte, marquant une étape de distanciation sans doute nécessaire dans le développement scientifique de la cartographie.

Globalement inchangée jusqu’en 1966, l’organisation de l’IGN montra cependant rapidement les limites de sa conception dans les conditions si particulières de l’occupation. Après une période financièrement faste pendant laquelle l’IGN connut une croissance importante de son activité et bénéficia d’investissements matériels conséquents, l’Etat imposa à partir du début des années cinquante des restrictions budgétaires qui témoignaient de ses difficultés persistantes à concevoir la nécessité des investissements à long terme dans le domaine cartographique. Ces restrictions soulignèrent rapidement les limites du statut de service technique extérieur, en particulier au niveau des réformes pourtant souhaitées depuis longtemps : la stabilité du personnel entraîna une situation de chômage technique partielle quand les crédits de fonctionnement diminuèrent, et l’autonomie de gestion se révéla purement théorique quand l’insuffisance des crédits obligea l’IGN à consacrer la majeure partie de son potentiel aux travaux commandés plutôt qu’à sa mission de vocation, la réalisation des cartes de base du territoire français. Comme dans les années vingt, les difficultés financières accentuèrent l’orientation industrielle imposée par la direction, qui se traduisit par une nouvelle réforme statutaire de l’institut en 19661300, mais aussi par l’accentuation de l’industrialisation et de l’automatisation du processus cartographique qui se développaient depuis les années trente.

Notes
1300.

Voir infra, « Après 1960… », 1.