Chapitre 2. Le début des levés aériens et le problème de la restitution du relief, 1900-1934.

Voler était un fantasme presque aussi vieux que l’humanité, dans lequel se manifestait, entre autres, la volonté de voir le monde d’un point de vue vertical inédit pour embrasser le territoire d’un seul regard, c’est-à-dire une pulsion de pouvoir qu’assouvissaient pleinement les cartes géographiques, comme le décrit remarquablement Christian Jacob dans l’introduction de son étude théorique sur l’histoire de la cartographie :

‘« De l’utopie gullivérienne aux situations paroxystiques de la science-fiction contemporaine, de l’œil d’Icare à celui des satellites qui nous renvoient le reflet de la terre […] : voir le monde de haut dans l’unicité de sa forme et la clôture de son contour, voir le monde s’étaler sous son corps est un vieux fantasme que les cartes géographiques permettent de réaliser métaphoriquement, c’est-à-dire au prix d’un détour, si léger qu’il n’en paraît guère problématique, grâce au double analogique de la réalité. Désir de complétude, rêve d’universalité, fantasme de pouvoir où voir, d’un point de vue à tout autre interdit, d’“un regard zénithal et froid”, pour reprendre l’expression de Michel de Certeau. »1301

Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que la photographie soit très rapidement utilisée pour produire des vues aériennes. Entre 1856 et 1858, seulement quinze ans après la présentation de cette technique à l’Académie des sciences de Paris par Arago, le célèbre photographe Nadar prenait ainsi les premiers clichés aériens, depuis un ballon captif au-dessus de Paris. Mais jusqu’à la fin du 19e siècle, la photographie aérienne resta limitée par les possibilités de l’aéronautique et de la technique photographique elle-même. Elle ne se développa véritablement qu’au début du 20e siècle, avec la généralisation des surfaces sensibles rapides en photographie et l’avènement de l’aviation. Ses premières applications à la cartographie topographique, expérimentées entre 1890 et 1914, furent fortement inspirées par les avancées de la photogrammétrie terrestre. Bien que l’analogie hâtive entre la photographie aérienne et une carte parfaite ait favorisé assez tôt l’investissement dans ces applications, le véritable catalyseur de leur développement fut les besoins colossaux du renseignement militaire pendant la première guerre mondiale. Définitivement entrés dans la culture et la pratique cartographique, les levés aériens devinrent l’objet d’une recherche intensive dans les années vingt, mais leur utilisation productive restait dominée par une pratique encore largement artisanale.

Notes
1301.

JACOB Christian. L’Empire des Cartes. Op. cit., p. 7.