Dans les nations occidentales, la conjonction du développement de la photogrammétrie terrestre et des enseignements tirés de la guerre russo-japonaise favorisa un investissement croissant dans les applications topographiques de la photographie aérienne, même si celles-ci restèrent strictement expérimentales jusqu’à la première guerre mondiale. Des essais furent ainsi menés en Allemagne et en Autriche-Hongrie, mais aussi en Russie et au Canada, pays dont la superficie rendait particulièrement attractifs des moyens rapides de levé topographique. En France, les expérimentations furent certes limitées par le rejet officiel de la photogrammétrie terrestre, mais l’initiative de certains officiers permit la réalisation d’un certain nombre d’essais. En 1909, pendant la campagne du Maroc, le capitaine Saconney effectua ainsi quelques photographies aériennes à partir d’avions ou de trains de cerfs-volants, sans aucune exploitation topographique. En 1910 et 1911, des reconnaissances photographiques aériennes furent également exécutées, dans la région de Verdun.
Pourtant, la littérature technique française consacrée à la photographie aérienne reprenait systématiquement le discours caricatural du retard de la science française sur la science germanophone1304. Publiée après la première guerre mondiale mais toujours marquée par l’esprit revanchard, cette littérature présentait une vision déformée du développement des levés aériens qui surestimait paradoxalement autant l’avancée technique étrangère que l’influence des « précurseurs » français, dans une rhétorique patriotique des plus classiques. André Carlier décrivait ainsi une situation particulièrement déséquilibrée avant la guerre, avec d’un côté les travaux limités de Français comme « Emile Wenz et surtout le colonel Saconney », et de l’autre côté « les procédés employés par nos ennemis [qui montraient le] degré de perfection auquel ils avaient déjà poussé le problème lors de la déclaration de guerre »1305. Ce constat se doublait généralement d’une critique de l’inertie des autorités militaires françaises qui avaient négligé la photogrammétrie. Clerc regrettait ainsi que les essais français aient provoqué plus d’intérêt en Allemagne qu’en France : selon lui, « le haut commandement français ne considérait guère l’aviation que comme un sport, et la photographie comme une distraction sans portée pratique », attachant « beaucoup plus d’importance [à leur] côté pittoresque qu’à [leur] utilisation méthodique »1306. Mais ces jugements tardifs étaient emprunts de mauvaise foi : tous ces spécialistes de la photographie aérienne ne s’étaient consacrés que récemment à cette méthode, une fois son potentiel reconnu par l’armée française pendant la guerre…
Voir supra, partie 3, chapitre 3.1.3.
CARLIER André-H. La Photographie aérienne pendant la guerre. Paris : Librarie Delagrave, 1921, p. 7.
CLERC L.-P. Applications de la photographie aérienne. Op. cit., p. 3.