2.1.3. Photogrammétries terrestre et aérienne, des rapports complexes.

2.1.3.1. La photogrammétrie aérienne, une réponse aux limites de la photogrammétrie terrestre ?

A la suite des travaux de Laussedat, la photogrammétrie terrestre avait connu un développement assez important à la fin du 19e siècle, même si les applications restèrent limitées en France jusqu’aux années vingt. L’utilisation de prises de vue terrestres épargnaient les problèmes posés par l’aéronautique et rendaient moins cruciales les limites de la technique photographique, puisqu’il était possible d’employer de longs temps de pause et des focales moyennes à la distorsion mieux corrigées. Dans la première décennie du 20e siècle, les progrès des levés photographiques terrestres avaient même abouti à la conception d’appareils de restitution mécanisée1311.

Mais la stéréotopographie terrestre souffrait aussi de restrictions sérieuses ; en particulier, elle n’était efficace que dans les régions accidentées, où le recours à des levés complémentaires à la planchette restait pourtant indispensable. Comme si le progrès en marche ne pouvait supporter ces reliquats d’une topographie archaïque, de nombreux spécialistes présentaient la photographie aérienne comme une solution à cette limitation. Ainsi, Emmanuel de Martonne racontait en 1948 comment les topographes s’étaient rendu compte, au début du 20e siècle, que « cet inconvénient pouvait disparaître si l’appareil de prise de vue était monté sur un avion et prenait des photographies verticales »1312. Roussilhe exprimait encore plus clairement cette idée :

‘« Il était tout naturel qu’on cherche à élever considérablement le point de vue, afin de supprimer les angles morts et de diminuer les déformations dues au relief du sol. On pouvait ainsi avoir l’espoir d’éliminer, dans le cas des terrains normaux, les deux principales difficultés rencontrées dans l’emploi du procédé photogrammétrique (parties cachées, sauf en terrain très accidenté, difficulté d’identification des points recoupés photographiquement), et dont la première reste un obstacle sérieux à l’emploi du procédé stéréophotographique dans les terrains non montagneux. »1313

Cette conception linéaire du progrès imposa une vision déformée du développement des levés aériens au début du 20e siècle, dans laquelle la motivation principale était la solution des problèmes posés par la photogrammétrie terrestre. Je pense que les motivations étaient en fait beaucoup plus complexes. En dehors de l’essor de la photographie aérienne, qui répondait à des besoins très spécifiques comme la reconnaissance militaire et à un potentiel commercial très tôt exploité, le développement particulier de la photogrammétrie aérienne procédait, selon moi, de deux influences fondamentales : d’une part, l’analogie hâtive et trompeuse entre la photographie aérienne et la carte qui participait à la perception de la photographie aérienne comme l’outil parfait de la cartographie ; d’autre part, les progrès de la photogrammétrie terrestre dont s’inspiraient directement les recherches en photogrammétrie aérienne.

Notes
1311.

Voir supra, partie 3, chapitre 3.3.1.

1312.

MARTONNE Emmanuel (de). Géographie aérienne. Op. cit., p. 69.

1313.

ROUSSILHE H. Emploi de la photographie aérienne. Op. cit., p. 18.