A la suite des travaux menés pendant la première guerre mondiale auxquels participèrent des personnes mobilisées extérieures au SGA, de nombreuses administrations s’intéressèrent au développement de la photographie aérienne, comme le cadastre et l’aéronautique militaire, bien sûr, mais aussi le service hydrographique de la marine, le service du nivellement général de la France et différents organismes coloniaux. Ainsi, au début de 1923, quand le service technique de l’aéronautique chargea le SGA d’étudier un projet d’appareil de restitution, celui-ci proposa d’inclure cette étude dans un programme d’ensemble regroupant tous les organismes intéressés et de le confier à un seul service technique – qu’il se proposait d’être. Le sous-secrétaire d’état à l’aéronautique et aux transports aériens « accepta sans hésiter […] et délégua un crédit de 50 000 francs pour couvrir les frais des premières études »1371, puis organisa la réunion d’une commission interministérielle sur la photographie aérienne1372 qui se consacra essentiellement aux problèmes photogrammétriques, en particulier celui de la restitution des clichés aériens.
Cette réactivité institutionnelle, aussi bien au niveau des structures que du financement, témoignait d’une volonté politique forte d’investissement dans la photographie aérienne. Auréolé depuis la guerre d’une flatteuse réputation d’expertise technique, le SGA imposa sa direction technique à la commission, se chargeant de tous les essais et études relatifs aux méthodes et aux instruments de photogrammétrie aérienne. Deux facteurs principaux expliquaient l’investissement du SGA : d’un côté, les méthodes artisanales de levés aériens ne satisfaisaient pas l’accélération des levés de la nouvelle carte de France souhaitée par sa direction ; que le général Bellot cherchait à obtenir par une solution technique et industrielle puisque les crédits supplémentaires lui avait été une nouvelle fois refusée en 1924 ; d’un autre côté, la dynamique du progrès technique imposait une perpétuelle recherche de l’amélioration de la précision par l’instrumentation. En s’investissant dans la résolution du « problème complet du relevé précis donnant à la fois la planimétrie et le relief du sol »1373 par photographies aériennes, le SGA envisageait explicitement l’instrumentation comme une solution pour accélérer les levés et augmenter leur précision. Les essais comparatifs menés jusqu’en 1933 pour vérifier que la photogrammétrie aérienne assurait une précision et un rendement égaux, ou si possible supérieurs, aux méthodes classiques, montraient parfaitement cette double motivation.
Je pense qu’un troisième facteur implicite, étroitement lié au problème de la rapidité, participait également à l’enthousiasme général pour la photogrammétrie aérienne : la prise de distance, ou dans l’absolu la coupure, avec le terrain. Les topographes avaient clairement conscience que le parcours du terrain était la première cause de lenteur des levés. La littérature technique sur les levés aériens insistait particulièrement sur le potentiel de ces méthodes pour la cartographie des immenses territoires difficiles à parcourir au Canada, au Etats-Unis, en Russie ou dans les colonies européennes. Si ce facteur restait le plus souvent sous-jacent dans les discours sur l’emploi de la photogrammétrie aérienne en France métropolitaine, je le considère pourtant comme aussi important que la volonté d’augmentation du rendement et de la précision des levés. Bien qu’il n’ait été véritablement affirmé qu’avec l’industrialisation des levés aériens1374, il fut parfois souligné dans les années vingt pour des terrains particuliers, comme le bocage de parcours lent et laborieux, ou plus encore comme la montagne de parcours difficile et dangereux.
Cette volonté institutionnelle forte de développer les levés aériens se conjuguait avec une orientation technique bien déterminée. Comme je l’ai déjà souligné, la restitution complète et mécanisée des clichés aériens avait été envisagée dès le début du 20e siècle, par analogie avec les développements contemporains de la photogrammétrie terrestre, comme l’objectif principal des recherches en photogrammétrie aérienne. Les travaux des années vingt ne faisaient que reprendre cette orientation fixée avant même la guerre. Dès 1921, Carlier affirmait ainsi que « le problème de la photorestitution était des plus complexes », mais qu’« il était cependant capital, et [que] c’[était] de sa solution intégrale que [dépendait] l’avenir passionnant de la cartographie rapide par la photographie aérienne »1375. Le but des recherches était clairement défini : « il s’agissait, en définitive, de mettre au point un appareil de restitution susceptible de fournir aussi bien le dessin de la planimétrie que le relief du sol, par un dispositif analogue à ceux qui étaient déjà utilisés dans les applications de la photographie terrestre aux levés topographiques, comme le stéréoautographe Von Örel »1376.
Je trouve que le nombre d’appareils de restitution en développement au cours des années vingt est révélateur de cette concentration des études sur ce problème : sans compter les recherches de Roussilhe pour l’administration du cadastre, le SGA se pencha sur le travail de quatre inventeurs, ce qui était remarquable pour un domaine aussi confidentiel que la photogrammétrie aérienne. Cette véritable fièvre d’innovation, soutenue par la volonté institutionnelle d’imposer les levés aériens comme la principale source de données topographiques, permit d’aboutir en moins d’une décennie à des solutions efficaces, que le SGA se chargea d’expérimenter pour les différents départements ministériels intéressés.
Rapp. SGA 1924-25, p. 77.
Elle réunissait des représentants des ministères de la Guerre, de la Marine, des Travaux publics, des Finances (cadastre), des Colonies, ainsi que des agences économiques de l’AOF, de l’Indochine, de Madagascar, et de l’office du protectorat de la République française au Maroc. Ibid., p. 78.
Ibid., p. 76.
Voir infra, partie 4, chapitre 3.3.
CARLIER André-H. La photographie aérienne. Op. cit., p. 55.
Rapp. SGA 1924-25, p. 76.