2.3.2.2. De nombreux instruments inspirés du stéréoautographe.

Lors de ses deux premières réunions de janvier et avril 1924, la commission interministérielle consacrée à la photographie aérienne formula un certain nombre de définitions en fonction des besoins des différents services. Ainsi, pour les levés de précision, l’échelle des clichés devait être comprise entre 1 : 2 000 et 1 : 10 0001377. La commission chargea le service technique de l’aéronautique des études concernant les appareils et les méthodes de prise de vue, à l’exception des objectifs, et le SGA des études concernant directement les instruments et les méthodes de restitution photogrammétrique, ainsi que de la construction d’objectifs spécifiques. Jusqu’au début des années trente, la commission dirigea ainsi l’ensemble des études menées par les services officiels en matière de photogrammétrie aérienne. Pour les applications topographiques, son activité principale fut l’étude, en partie basée sur les essais menés par le SGA, d’un certain nombre d’instruments de restitution conçus par des inventeurs et ingénieurs indépendants.

Entre 1924 et 1925, cinq appareils proposant de résoudre le problème de la restitution des clichés aériens furent présentés à la commission1378. La reprise du modèle de développement de la photogrammétrie terrestre était particulièrement claire, puisque tous ces appareils s’inspiraient du principe du stéréoautographe : tracer mécaniquement sur une planche à dessin les lignes planimétriques ou les courbes de niveau identifiées par un index sur une image stéréoscopique formée par deux clichés. Mais les spécificités de la restitution de photographies aériennes, en particulier l’inclinaison des clichés et les variations d’échelle induites par l’altitude1379, nécessitaient des dispositifs nettement plus complexes pour mettre en œuvre ce principe. Cette complexité rendait particulièrement délicate l’étude des instruments par la commission : si la conception de certains était achevée d’un point de vue théorique, il n’existait encore aucun prototype, les coûts de fabrication (entre cinquante mille et trois cent mille francs selon les modèles) étant trop lourds pour un inventeur isolé ou même pour le SGA dans un but strictement expérimental.

Entre 1924 et 1929, les rapports d’activité du SGA présentèrent plus ou moins succinctement les différents instruments et les études menées sur certains d’entre eux. Une première sélection fut effectuée sur les seuls critères de l’avancement ou des bases théoriques de la conception. L’appareil Mausselin, adaptation du stéréoautographe à l’exploitation des photographies aériennes, fut ainsi rejeté dès 1924, parce que sa mise au point n’était pas achevée et qu’il s’avérait être plus cher que les autres1380. Le stéréorestituteur Bougard, présenté à la fin de 1925 et étudié à partir d’un modèle réduit, ne fut également pas construit, probablement pour des problèmes de budget puisque deux autres instruments coûteux avaient déjà été commandés par le SGA, mais un appareil de redressement mis au point par le même inventeur fut cependant acheté afin de juger de ses qualités de constructeur1381. La commission étudia aussi les caractéristiques de certains instruments étrangers. Ainsi, durant l’été 1925, des essais furent menés avec un autocartographe Hugershoff prêté au service technique de l’aéronautique1382, mais comme ses caractéristiques ne correspondaient pas aux exigences de la commission1383, je pense que ces essais répondaient plus à la volonté de vérifier le potentiel de la restitution de clichés aériens qu’au projet d’acquérir un modèle de cet instrument. Finalement, seuls les instruments conçus par Poivilliers et Prédhumeau furent commandés par le SGA pour des essais plus poussés. Selon moi, le prestige des inventeurs joua un rôle aussi important que l’avancement de leur projet : alors que le statut de Bougard et Mausselin n’était pas précisé – car peut-être modeste –, les rapports soulignaient bien que Prédhumeau était ingénieur des Ponts et chaussées et Poivilliers ingénieur des Arts et manufactures, statuts prestigieux qui favorisèrent sans doute le choix de leur instrument.

L’appareil Prédhumeau était conçu en deux parties complémentaires : la première, nommée stéréotopomètre et définitivement mise au point en 1924, permettait seulement la restitution des photographies terrestres ; la seconde devait permettre d’adapter le stéréotopomètre aux photographies aériennes, mais l’inventeur essaya en vain deux méthodes radicalement différentes, le redressement et les projections anaglyphiques1384. Le SGA n’acquit finalement qu’un stéréotopomètre, qu’il utilisa en remplacement du stéréocomparateur pour la restitution des levés photographiques terrestres exécutés dans les Alpes. Conçu comme« un matériel beaucoup plus simple et d’un prix moins élevé que les appareils actuellement en usage »1385, il fut effectivement apprécié pour sa simplicité, mais sa conception limitée aux clichés de petits formats (6 x 13 cm) et un dispositif optique peu précis1386 rendaient difficile l’identification des détails des levés. Finalement, le SGA privilégia le stéréoautographe, qu’employaient déjà les entreprises privées auxquelles il déléguait une partie du travail de restitution des levés photographiques terrestres alpins.

Notes
1377.

Ibid., p. 79.

1378.

Dont deux modèles différents de l’appareil Poivilliers.

1379.

Sur une photographie aérienne proche de la verticale, même redressée avec soin, les éléments topographiques ne sont pas représentés à la même échelle suivant leur altitude, puisque l’échelle de reproduction dépend justement de la hauteur entre le centre optique et le terrain. Dans les premiers essais de restitution de clichés aériens, l’Autrichien Scheimpflug avait contourné le problème en effectuant plusieurs redressement par palier d’altitude (par exemple, l’équidistance des courbes de niveau, ou généralement moins), mais c’était une solution artisanale et complexe, très peu efficace.

1380.

Rapp. SGA 1924-25, p. 80.

1381.

Rapp. SGA 1926-27, p. 70.

1382.

Rapp. SGA 1924-25, p. 81-82.

1383.

Basé sur l’exploitation de clichés obliques, l’autocartographe était spécialement conçu pour les levés de reconnaissance et inadapté aux levés de précision à grande échelle..

1384.

Ces projections produisent l’effet stéréoscopique en utilisant un couple d’image prises de points de vue différents qui sont imprimées en superposition en couleurs complémentaires et observées à l’aide de filtres colorés.

1385.

Rapp. SGA 1924-25, p. 85.

1386.

« L’emploi de petits diaphragmes ne laissant passer que des pinceaux très étroits et l’utilisation de lentilles de champ à très grande ouverture placées derrière les clichés sont préjudiciables à la qualité des images et à la précision des pointes. » Ibid., p. 87.