2.3.2.5. Retour à un schéma classique d’innovation topographique : une variante de la science normale.

L’histoire « officielle » du SGA présente un général Bellot patient et méticuleux, qui « avait immédiatement compris les multiples services que l’on pouvait attendre de ces méthodes nouvelles [mais qui pensait] nécessaire et prudent de ne les faire entrer dans la pratique, si séduisantes fussent-elles, qu’après avoir étudié au préalable, aussi objectivement que possible, leur degré de précision en comparant leurs résultats avec ceux obtenus par les procédés classiques »1398. En fait, la chronologie et la nature des essais menés par le laboratoire d’optique du SGA contredisent en partie cette version. Le SGA cherchait manifestement à trouver rapidement une solution industrielle à la lenteur des levés de la carte de France, ce qui nécessitait une intense activité de recherche et des choix rapides parmi les différentes possibilités instrumentales. Le SGA revint donc assez vite à un schéma d’innovation plus classique en topographie, basé sur le perfectionnement des instruments par l’usage.

Ainsi, le stéréotopographe, rapidement adopté pour des raisons qui n’étaient pas seulement techniques, fut le seul instrument soumis à des essais complets. Quoi que puisse en dire la version officielle, ces essais ne furent pas effectués « aussi objectivement que possible », du moins avant l’adoption définitive du stéréotopographe. En effet, quand la commission interministérielle décida en mars 1929 « de porter tous ses efforts sur la mise au point définitive de cet appareil »1399 et d’en faire fabriquer un deuxième modèle, elle ne disposait que du résultat des essais menés en 1928 sur des clichés terrestres et des premières impressions laissées par les essais de 1929. Les petites surfaces concernées ne permettaient d’ailleurs pas de juger de l’efficacité du stéréotopographe – et même de la restitution des clichés aériens – dans des conditions plus productives, compliquées par les limites du matériel photographique.

Pourtant, le choix du stéréotopographe ne fut pas remis en cause. Les différentes alternatives qui continuaient d’être développées ne furent jamais étudiées sérieusement par le SGA qui se préparait à généraliser les levés aériens restitués au stéréotopographe pour la carte de France. En particulier, l’appareil Gallus-Ferber, utilisé par certaines sociétés privées comme l’Aérotopographie, ne fut l’objet que de rapides essais au début des années trente, alors même que le stéréotopographe venait d’être fièrement exposé au congrès international de photogrammétrique de Zurich en 1930. Le SGA acquit bien un exemplaire de cet appareil en octobre 1932, mais le choix du stéréotopographe Poivilliers était déjà affirmé, avec la livraison prochaine d’un deuxième modèle et la formation de restituteurs à son utilisation, ce qui rendait peu probable le changement d’instruments. En 1934, le SGA affirmait d’ailleurs déjà que « l’emploi du stéréotopographe Poivilliers [était] complètement entré dans le domaine pratique pour effectuer les plans aux grandes échelles »1400.

Ainsi, à partir des années trente, la recherche pour la restitution des clichés aériens reprit donc un visage beaucoup plus classique dans l’histoire de la topographie : la nouvelle méthode se trouvait exploitée avec un seul instrument sur lequel se concentrait un travail de perfectionnement lié à l’usage. Selon moi, cette situation est analogue à la science normale décrite par Thomas Kuhn1401 : la recherche s’attachait à régler des problèmes limités à l’intérieur d’un système technique clairement définie par une méthode et un instrument précis, système qui, à l’image des paradigmes de Kuhn, ne s’était pas imposé sur des critères uniquement rationnels, mais aussi politiques, économiques et idéologiques.

Notes
1398.

Le SGA. Op. cit., p. 95.

1399.

Rapp. SGA 1928-29, p. 98.

1400.

Rapp. SGA 1934-35, p. 49.

1401.

KUHN Thomas. The Structure of scientific revolution. Op. cit.