2.3.3.2. La méthode de restitution au stéréotopographe.

Comme nous l’avons vu, les levés aériens ne permettaient pas de disposer d’informations précises sur l’orientation et la position de la chambre photographique au moment de la prise de vue. La principale difficulté que devaient résoudre les appareils de restitution était de permettre la formation d’une image stéréoscopique représentant le terrain sur un plan horizontal alors que les données de prise de vue restaient inconnues ou imprécises. La mise en place des clichés dans ces appareils était donc particulièrement délicate. Le principe de base était de donner aux chambres portant les plaques photographiques les mêmes orientations que les chambres photographiques au moment de la prise de vue, l’éloignement des deux chambres devant être déterminé en fonction de l’échelle et de la distance parcourue entre les deux prises de vue. La mise en place dans un stéréotopographe Poivilliers se faisait ainsi en trois étapes :

  • la formation de l’image plastique, qui reconstituait l’orientation relative des deux clichés, à partir des valeurs approchées de l’altitude de l’avion, des angles de déversement et de la distance entre les centres des plaques (base évaluée à l’échelle des photographies) ;
  • la mise à l’échelle désirée de l’image plastique, d’après les positions de deux points placés dans les régions extrêmes et opposées du couple de clichés ;
  • l’orientation des verticales, qui consistait à faire coïncider les plans de section de l’image plastique avec le plan de section horizontale du terrain reconstitué, et nécessitait donc de connaître l’altitude exacte d’au moins trois points.

Pour assurer la plus grande précision possible à la restitution, il était nécessaire de contrôler au maximum les différentes causes de déformation des clichés. Pour cette raison, le SGA avait rejeté l’utilisation des films photographiques pour la carte de France1411 en raison de leur défaut de planéité et de leur manque de stabilité dimensionnelle, et utilisait des plaques de verre relativement épaisses. La distorsion géométrique des objectifs était plus difficile à limiter. Comme leur construction ne permettait pas de l’éliminer complètement, le stéréotopographe Poivilliers en supprimait l’influence en se basant sur le principe de Porro-Koppe, qui consistait « à reconstituer les faisceaux perspectifs de l’espace tels qu’ils se présentent au moment de la prise de vue en plaçant les plaques dans les chambres de restitution ayant les mêmes dimensions géométriques que la chambre de prise de vue utilisée, c’est-à-dire dans le plan focal d’un objectif rigoureusement identique au point de vue de la distorsion à l’objectif aérien »1412 – avec une tolérance sur les angles ne dépassant pas une demi minute centésimale.

Mais dans les années vingt et trente, la construction mécanique et optique des objectifs employés ne permettait pas d’obtenir une distorsion suffisamment constante entre deux exemplaires du même objectif pour assurer cette marge d’erreur. Pour les levés aériens, le SGA avait choisi au milieu des années vingt l’objectif Olor construit par la Société d’optique et de mécanique de haute précision (SOM) : de focale 196 mm, il était généralement qualifié de 200 mm dans les textes. Une des caractéristiques de cet objectif était d’être conçu en trois éléments distincts. Les intervalles d’air entre les éléments pouvaient être modifiés afin de faire varier la distorsion de l’objectif et de la rendre identique à celle d’un autre exemplaire : c’était le procédé de l’apairage des distorsions 1413. Ces modifications conservaient une netteté suffisante pour la restitution : le principe fut donc adopté pour régler les chambres de restitution des stéréotopographes en fonction des objectifs de prise de vue.

Une fois les clichés mis en place, le processus de restitution était semblable à celui du stéréoautographe. Une équipe était constituée d’un restituteur et d’un dessinateur. Elle commençait généralement par la restitution des courbes de niveau, avant d’effectuer celle de la planimétrie. Le dessinateur était chargé de la mise au net des minutes restituées, qui consistait essentiellement à passer à l’encre le tracé au crayon et à ajouter certains signes conventionnels. Elle était effectuée le plus souvent après la restitution, même si certains détails pouvaient parfois être mis au net directement sur le coordinatographe du stéréotopographe à la suite du tracé automatique. Enfin, chaque stéréominute était contrôlée par un vérificateur, qui comparait, corrigeait et faisait les additions nécessaires, en observant les couples photographiques au stéréoscope.

Quelle que soit la qualité des photographies aériennes et de la restitution, la stéréominute ne représentait pas le levé du terrain absolument complet. Certaines zones échappaient à la restitution, soit à cause des défauts des prises de vue (flous, nuages, mauvaises navigations, etc.), soit à cause de la nature du terrain elle-même (fonds de vallées dans l’ombre, zones boisées), et formaient ce qui étaient appelés des « blancs ». Ceux-ci devaient être levés par un opérateur sur le terrain lors du complètement, qui servait également à vérifier l’interprétation des photographies faite lors de la restitution, à ajouter les détails invisibles ou non identifiables sur les clichés (sources, sentiers en sous bois, nature des cultures, etc.), à mener l’enquête toponymique, et à contrôler systématiquement la qualité de la restitution en ce qui concernait la position et l’altitude des points. Le complètement était exécuté sur un tirage en bleu ou en bistre de la stéréominute.

Notes
1411.

Le stéréotopographe n’y était de toute façon pas adapté : l’IGN continua d’utiliser des plaques pour les levés de la carte de France jusqu’à la fin des années soixante, même si l’emploi de film se développa pour les levés expédiés dans les territoires d’outre-mer après la seconde guerre mondiale (voir infra, partie 4, chapitre 3.2.4).

1412.

CRUSET Jean. L’évolution des objectifs français de photogrammétrie aérienne. Bulletin de l’AIG., juin 1949, 9, p. 49.

1413.

Ibid., p. 50.