Conclusion

Répondant à l’antique désir de voler et d’observer le monde d’en haut, la photographie aérienne fut rapidement l’objet de diverses expérimentations dans la deuxième moitié du 19e siècle, mais ses applications topographiques ne commencèrent véritablement qu’au cours de la guerre russo-japonaise de 1904. Dès lors, des essais furent menés dans de nombreux pays industrialisés : si leur développement en France souffrit du rejet de la technique photogrammétrique par le SGA, il n’entraîna pas un retard aussi considérable que la littérature spécialisée des années vingt le présenta. Jusqu’à la première guerre mondiale, les levés aériens restèrent limités par les possibilités de l’aéronautique et de la photographie. Souvent présentés comme une solution aux restrictions des levés photographiques terrestres, seulement efficaces dans les régions accidentées, les levés aériens profitaient aussi d’une analogie trompeuse entre la photographie aérienne et la carte, à l’origine d’un mythe tenace selon lequel un cliché aérien constituerait une carte parfaite. Mais au-delà de ces motivations plus ou moins rationnelles, leur développement s’inscrivit dès le début du 20e siècle dans une volonté de reproduire les conditions qui avaient permis la mécanisation de la restitution des clichés terrestres. L’axe prioritaire des recherches fut donc précocement défini autour du problème du redressement, technique indispensable qui devait permettre d’éliminer les déformations provoquées par les défauts des objectifs et les déplacements de l’avion lors de la prise de vue, et de disposer ainsi d’un document pouvant être restitué dans un instrument similaire au stéréoautographe.

Si l’orientation de la recherche en photogrammétrie aérienne était explicitement définie dès les années 1900, la première guerre mondiale fut le catalyseur fondamental de son développement : les besoins militaires considérables en matière de renseignements topographiques favorisèrent un investissement conséquent dans la photographie aérienne qui, grâce au développement de l’aéronautique, s’était rapidement révélée la technique la plus efficace pour réunir des informations sur l’organisation ennemie. Au cours du conflit, les armées durent développer des structures et des méthodes pour l’exploitation rationnelle d’une technique qui restait encore expérimentale en 1914. En France, cette rationalisation permit la formalisation de la méthode d’interprétation des clichés aériens et la mise au point d’un procédé de restitution planimétrique de ces clichés, le graticulage, qui mélangeait construction graphique et placement à vue. Parallèlement, un effort d’instrumentation constant entraîna la conception d’outils facilitant l’interprétation et la restitution, ainsi que des premiers appareils de redressement efficaces.

Au cours des années vingt, les levés aériens connurent un développement considérable, soutenu par un important investissement institutionnel. D’un côté, les méthodes artisanales de restitution planimétrique mises au point pendant la guerre furent appliquées à la mise à jour du cadastre et au levé des plans de ville, puis généralisées comme méthodes complémentaires aux levés de précision. D’un autre côté, suivant l’orientation méthodologique fixée dès le début du siècle, la recherche se focalisa sur le problème de la restitution complète, planimétrie et relief, des clichés aériens. Contrairement à la photogrammétrie terrestre qu’il venait d’adopter tardivement dans une utilisation régulière, le SGA s’investit rapidement dans la photogrammétrie aérienne : sous la pression industrielle imposée par son directeur Bellot, il coupa court à la fièvre d’innovation instrumentale pour la restitution complète des clichés aériens et adopta le stéréotopographe conçu par Poivilliers, sur des critères qui n’étaient pas uniquement rationnels.

Retrouvant dès lors une situation plus classique en topographie de perfectionnements par l’usage d’un système technique bien défini, le SGA mit en place au début des années trente les premiers essais étendus de levés aériens restitués au stéréotopographe, dans la région des pré-alpes de Provence à l’est de Salon. La méthode de restitution fut rapidement précisée, permettant la formation des premières équipes de restituteurs. Quant au groupe des topographes-alpinistes, déjà fragilisé par la mutation de l’alpinisme et l’absence d’une relève aux grands maîtres du début du siècle, il se révéla incapable de suivre les mutations technologiques qu’il plébiscitait pourtant, ce qui participa au déclin de son activité. Au début de 1934, seulement onze ans après le début des études du SGA sur les procédés de restitution complète des clichés aériens, le général Bellot pouvait ainsi affirmer que, « définitivement sortie de la période d’essais, la photographie aérienne [tendait] à devenir de plus en plus une application courante dans les levés allant du 5.000e au 40.000e »1425 – et qu’elle entrait ainsi dans une phase d’industrialisation souhaitée par la direction du service cartographique.

Notes
1425.

Rapp. SGA 1932-33, p. XIII.