3.1.2.2. Une utilisation parallèle plus que complémentaire.

Jusqu’au début des années trente, les applications topographiques des photographies terrestres et aériennes étaient radicalement différentes, les premières permettant le levé de la planimétrie et du relief des régions accidentées, les secondes le levé de la seule planimétrie dans des régions généralement plates. Leur utilisation était donc nécessairement très différenciée. La répartition des levés photographiques terrestres et aériens exécutés entre 1921 et 1933 dans la région couverte par mon corpus de feuilles montre une réelle complémentarité entre les deux méthodes, qui étaient employées dans des régions au relief très différent : les clichés aériens couvraient essentiellement les zones assez plates, à planimétrie dense, souvent urbanisées, des environs de Genève, Thonon, Annecy et Albertville, alors que les clichés terrestres couvraient les massifs escarpés de l’Oisans, des Grandes-Rousses et du Champsaur (carte 29).

Carte 29 : Répartition des levés photographiques terrestres et aériens du SGA dans les Alpes du nord, 1921-1939.
Carte 29 : Répartition des levés photographiques terrestres et aériens du SGA dans les Alpes du nord, 1921-1939.

Après la généralisation des levés aériens restitués au stéréotopographe en 1934, et leurs premières applications dans les Alpes du nord, la répartition entre les zones couvertes par les deux méthodes devint plus confuse (carte 29). Dans la zone couverte par mon corpus, les levés effectués entre l’adoption du nouveau programme et la deuxième guerre mondiale concernèrent essentiellement le Faucigny, les environs d’Annecy, d’Albertville et de Chambéry, et les pré-alpes genevoises. Dans les massifs du Dévoluy et du Champsaur, les levés photographiques terrestres commencés dans les années vingt furent achevés avec cette seule technique, mais au sud du lac Léman, les levés furent exécutés avec les deux méthodes, sans que la répartition des zones couvertes par l’une ou l’autre ne semble répondre à une logique strictement liée aux caractéristiques des méthodes elles-mêmes.

Bien sûr, les régions les plus plates, comme les environs de Saint-Julien-en-Genevois ou de Seyssel, ne pouvaient pas être levées avec des photographies terrestres. Dans certains cas également, les deux méthodes continuaient à être utilisées dans une logique de complémentarité. En 1938 par exemple, le service de phototopographie du SGA restitua des missions aériennes spécialement exécutées pour compléter les levés stéréotopographiques terrestres dans les régions d’Annecy et de Saint-Gervais : reprenant le discours classique la présentant comme une solution aux limites de la photogrammétrie terrestre, il affirmait que « la photographie aérienne [permettait] en effet de boucher les blancs parfois importants laissés par la restitution terrestre sur certains versants et dans les fonds de vallée »1453. A l’inverse, les difficultés de la photographie aérienne à haute altitude faisaient que « les hautes régions glaciaires [demeuraient] encore pour un temps réservées aux opérations photographiques terrestres »1454.

Cependant, pour une grande partie des levés de régions accidentées, comme les massifs du Faucigny, du Beaufortain ou du Mont Blanc, les deux méthodes furent employées indifféremment selon les campagnes. Les feuilles dressées à partir de ces levés, comme Thonon (1938-1939), Cluses (1941-1943) ou Saint-Gervais (1942-1943), comportent ainsi des zones restituées à partir de levés terrestre ou aériens, dont la nature géographique est variée : haute montagne, moyenne montagne, vallée, agglomération, glaciers, etc. Selon moi, cet empiètement quasi-systématique des levés aériens sur les zones couvertes par des levés photographiques terrestres témoignait de la volonté de la direction du SGA de généraliser les premiers pour tous les types de relief. Certes, l’emploi indifférencié des deux méthodes confirme mon hypothèse que celles-ci étaient perçues comme relativement proches, en précision comme en efficacité, mais quand les conditions de réalisation des missions aériennes s’améliorèrent à la fin des années trente, cette proximité même posa justement la question du maintien des opérations stéréotopographiques terrestres, qui pouvait paraître aberrant dans la logique d’optimisation des ressources restreintes du SGA, notamment du point de vue de la formation du personnel puisque les deux méthodes restaient suffisamment différentes pour nécessiter des manipulations de restitution distinctes.

Notes
1453.

Rapp. SGA 1938-39, p. 128.

1454.

Le SGA. Op. cit., p. 158.