Dès la fin des années trente, les besoins aéronautiques de la photographie aérienne étaient parfaitement définis. En 1949, Jean Cruset en donnait un résumé particulièrement clair1522. L’échelle du 1 : 25 000 qui tendait à se généraliser pour les levés de la carte de France nécessitait dans la plupart des cas de voler à une altitude de quatre mille mètres si les clichés étaient pris avec la focale de 150 mm. La navigation précise nécessaire au bon recouvrement des clichés demandait « un avion stable [et] un équipage comportant au minimum un pilote, un navigateur, un photographe, un mécanicien et par raison de sécurité, un radio »1523. L’appareil devait également proposer un grand rayon d’action et une carlingue suffisamment large pour le matériel photographique, d’autant plus que le stéréotopographe ne fonctionnait qu’avec des clichés sur plaque de verre. Ces caractéristiques favorisèrent jusqu’à la fin des années cinquante l’emploi quasi-exclusif de bombardiers aménagés.
A sa création en 1938, l’escadrille spécialisée du SGA avait été dotée de trois avions Potez 540, des bombardiers bimoteurs légers bien adaptés aux missions photographiques qui furent utilisés jusqu’aux derniers levés aériens de l’occupation en 1942. Quand l’IGN entreprit de reconstituer une section de photographie aérienne à la libération, il fut surtout confronté au problème de son équipement, puisque la nouvelle escadrille reprit les bases de la convention établie en 1941 avec le ministère de l’Air et récupéra une grande partie de son personnel. Mais les autorités publiques manifestèrent une forte volonté d’investissement dans la photographie aérienne, qui se traduisit par l’entière affectation à l’IGN de l’aéroport de Creil, un terrain de fortune qui permit cependant de rationaliser l’organisation des missions et l’entretien des appareils, par l’augmentation du personnel, passant à trente-deux agents dont quatre équipages complets en 1947, et par la mise à l’étude d’une version dérivée du quadrimoteur SE 1000, spécialement adaptée à la photographie aérienne : le SE 1010.
Mais cette volonté fut rapidement confrontée aux difficultés financières et techniques. Pour assurer provisoirement ses levés, l’IGN avait reçu en 1945 et 1946 trois avions Siebel NC 701, notoirement inadaptés à la photographique aérienne1524. Ils permirent de reprendre brièvement les levés aériens, jusqu’à ce qu’une série d’accidents diminue le potentiel aérien de l’IGN : entre 1946 et 1947, deux des trois avions s’écrasèrent, le deuxième accident tuant les six membres d’équipage1525. En même temps, le premier prototype du SE 1010 s’écrasait lors de son second vol d’essai, entraînant l’abandon du projet de construction. Pour la couverture des colonies et des régions montagneuses, l’IGN avait obtenu la construction de quatre avions dérivés du bombardier Léo 451526. Si cet investissement parut toujours insuffisant à la direction de l’institut, il restait important compte tenu des circonstances (en particulier la pénurie en moteurs d’avion), et je pense qu’il témoignait de la volonté intacte des autorités de soutenir le développement de la photogrammétrie aérienne.
Cependant, l’insuffisance de l’équipement restait critique pour assurer l’ambitieux programme de levés établi par la direction de l’IGN. En 1947, l’institut acquit quatre B-17 américains, présentés comme les « seul[s] avion[s] répondant alors aux exigences de la photographie aérienne »1527, même si, la cabine n’étant pas pressurisée, les opérateurs devaient porter des masques à oxygène au-dessus de trois mille cinq cents mètres. Avec la livraison des premiers Léo, l’IGN vit son potentiel aérien s’accroître significativement à la fin des années quarante : entre 1947 et 1951, il disposa de quatre Léo 453 et cinq Léo 455, qui cumulèrent quatre mille cinq cents heures de vol1528, alors qu’il avait acquis huit nouveaux B-17 en 1949. Les restrictions budgétaires des années cinquante et soixante stabilisèrent ce potentiel. Malgré la conception en 1959 d’une version photographique du bimoteur Hurel-Dubois HD 34, spécialement adapté aux missions à basse altitude et grande échelle, l’utilisation de certains des B-17 jusqu’en 19901529 souligne les difficultés financières de l’institut pour renouveler son équipement, mais aussi les difficultés techniques pour adapter des appareils aux besoins complexes de la prise de vue aérienne, aggravées par l’emploi prolongé des plaques de verre imposé par l’utilisation du stéréotopographe.
CRUSET Jean. L’évolution des objectifs français… Op. cit., p. 46-47.
Ibid., p. 46.
En plus d’une conception impropre à l’utilisation de grandes chambres photographiques, il disposait d’un rayon d’action et d’un plafond de vol insuffisants, ce dernier ne dépassant pas cinq mille mètres dans la pratique.
Rapp. IGN 1947, p. 2.
Le nom « Léo » dérivait du nom de l’entreprise « Loire et Olivier », qui donnait des références d’avion en « LO ».
Le Service des activités aériennes … Op. cit., p. 4.
La photographie aérienne. IGN Magazine, septembre-octobre 2001, p. 9.
A cette date, tous les B-17 réunis avaient cumulé 53 884 heures de vol, mais le prix du carburant les rendait définitivement non rentables. Ibid., p. 9.