Dans les années vingt, l’exploitation artisanale de la photographie aérienne pour la détermination de la planimétrie n’avait pas remis en cause les procédés de levés directs ; au contraire, l’exploitation optimale des clichés aériens nécessitait une connaissance précise et un parcours répété du terrain, que ce soit pour l’identification, la restitution ou le complètement1544. Mais à mes yeux, l’optimisation de l’organisation de ces opérations participait d’une volonté de se couper du terrain. Si son origine remontait au premier développement de la photogrammétrie terrestre, dont l’un des avantages était de réduire le travail de terrain au profit du travail de bureau, elle demeura essentiellement implicite dans les discours tenus sur les méthodes photogrammétriques jusqu’aux années trente. A ce moment, la solution du problème technique de la restitution du relief à partir de clichés aériens la fit passer au premier plan. En effet, en permettant de réunir des informations topographiques sans parcours direct du terrain, les levés aériens rendaient crédibles le fantasme d’une cartographie complètement détachée du territoire qu’elle représente – étrange retour aux caractéristiques d’une géographie de cabinet contre laquelle la cartographie topographique s’était construite en insistant sur la nécessité du parcours direct du terrain.
Dans les pays peu étendus comme la France, le développement des levés aériens était moins justifié par l’impossibilité des levés directs que par les économies qu’une réduction du temps passé sur le terrain permettait d’envisager. Dès les premiers essais de levés aériens pour la carte de France, les orientations prises par le SGA avaient révélé la prépondérance du facteur économique. En particulier, les essais de levés aux petites échelles avaient été immédiatement inscrits dans la problématique du détachement du terrain : en 1935, le SGA rappelait que leur but était d’obtenir « un rendement intéressant » qui n’était possible que « si le travail de préparation au sol [était] très limité »1545. Peu à peu, cette problématique se généralisa à l’ensemble des levés aériens, le discours officiel soutenant de plus en plus explicitement que les opérations de terrain constituaient la partie la plus coûteuse et la plus lente du procédé cartographique, et que l’augmentation du rendement passait nécessairement par leur réduction – en particulier dans les régions montagneuses dont le parcours était spécialement difficile et lent.
Voir supra, partie 4, chapitre 2.3.1.
Rapp. SGA 1934-35, p. 49-50.