3.3.2.2. La fixation de la méthode à la fin des années trente, un compromis entre rendement et qualité.

Au cours des années trente, le SGA apporta de nombreuses modifications à la méthode de stéréopréparation qui témoignaient de l’effort de rationalisation des levés aériens. La méthode initialement utilisée dérivait directement des procédés de restitution mis au point pendant la première guerre mondiale, qui utilisaient au moins quatre repères de positions planimétrique et altimétrique connues par cliché, dont la détermination directe sur le terrain était longue et coûteuse1552. La conjonction entre l’inadaptation de la méthode aux nouvelles techniques d’exploitation des photographies aériennes et l’impératif économique de rendement aboutit à une situation paradoxale : d’un côté, les quatre points connus en planimétrie étaient surabondants pour une restitution mécanisée de la planimétrie qui atteignait une très grande précision ; d’un autre côté, le placement des repères dans les angles des clichés, qui permettait leur exploitation plus productive pour plusieurs couples de photographies, rendait la restitution altimétrique délicate et peu précise à cause des déformations des plaques photographiques, obligeant à déterminer un cinquième point au centre de chaque cliché. Le travail de préparation était donc augmenté de 25 %, alors qu’une grande partie de la détermination planimétrique était inutile.

A partir de 1935, le SGA expérimenta donc de nouvelles méthodes « utilisant au maximum les possibilités des photographies et de l’appareil de restitution »1553, qui consistaient à séparer les points déterminés pour la planimétrie et l’altimétrie. Théoriquement, comme cela avait été expérimenté dès 1915 par le lieutenant Sasportès dans des conditions de précision moindre1554, la restitution planimétrique d’une bande de clichés pouvait être assurée si au moins un couple comportait quatre repères aisément identifiables. Dans la pratique, la nouvelle méthode de préparation utilisait, en plus de ces quatre repères, une moyenne d’un à deux points seulement déterminés en x et y pour chaque couple de la bande, qui formaient le canevas de planimétrie. L’expérience montra rapidement que les points du canevas d’ensemble, que les brigades de préparation étaient également chargées de déterminer par une triangulation de détail, suffisait pour la restitution planimétrique, si bien que le préparateur se contentait généralement d’identifier les points du canevas d’ensemble sur les clichés sans déterminer d’autres points spécifiques au canevas planimétrique.

Mais dans les régions à végétation dense ou en haute montagne, le manque de repères identifiables sur les photographies aériennes rendait difficile l’exploitation du canevas d’ensemble pour la préparation planimétrique. En effet, à partir d’une certaine altitude, les signaux naturels devenaient rares et inutiles : les pointes de rocher, sommets d’aiguille et autres repères du même type, étaient difficilement identifiables et ne pouvaient pas être pointés au théodolite avec la précision requise pour un levé régulier. Au contraire, dans les vallées, les points planimétriques bien signalés étaient abondants, mais les fonds trop encaissés empêchaient la détermination classique par intersection ou relèvement. La méthode habituelle de détermination du canevas planimétrique n’ayant pas la souplesse de celle du canevas altimétrique, qui pouvait utiliser plusieurs procédés de détermination différents selon les conditions, les brigades de préparation opérant dans les Alpes et les Pyrénées adoptèrent à partir de 1949 une méthode ancienne, utilisée à la fin du 19e siècle pour le levé des côtes en Tunisie par l’amiral Mouchet, mais surtout adoptée et diffusée par Henri Vallot au début du siècle1555. Elle consistait à une adaptation du rayonnement planimétrique1556 permettant de déterminer, à partir d’un point géodésique, la position planimétrique d’un détail bien visible dont l’altitude était connue par rayonnement direct ou indirect dans un plan vertical orienté 1557.

Pour l’altimétrie, la nouvelle méthode déterminait un canevas de nivellement absolu, constitué d’un point par couple dont l’altitude était déterminée par triangulation ou par rattachement à un repère du nivellement de précision, et un canevas complémentaire de nivellement, constitué de quatre à cinq points par couple dont seule l’altitude relative au point du canevas absolu devait être connue1558. Ces points complémentaires servaient à assurer l’orientation des verticales et à contrôler les déformations des plaques photographiques. Pour permettre un rendement maximal, ces points étaient déterminés par des visées zénithales depuis des points géodésiques : seul l’angle de pente était mesuré sur le terrain, puis l’altitude relative était calculée à partir de cet angle et de la distance mesurée graphiquement lors de la restitution. Peu à peu généralisée dans les brigades de préparation, cette méthode était particulièrement rapide et souple : un seul tour d’horizon permettait de déterminer une vingtaine de points complémentaires, par visée zénithale directe ou inverse, ou en dernier recours par cheminement tachéométrique, notamment dans les zones boisées. A la fin des années trente, le nombre de points de nivellement complémentaire avait donc régulièrement augmenté pour atteindre un minimum de neuf par couple. A partir de 1946, l’apairage des distorsions par sélection d’objectifs permit d’« améliorer la précision altimétrique de la restitution en fournissant des garanties beaucoup plus sérieuses sur la planéité des surfaces de niveau », et donc de « réduire à 6 par couple le nombre des points altimétriques »1559 dont la surabondance servait surtout à contrôler les déformations des clichés.

A partir de la fin des années quarante, l’IGN mena de nombreuses études sur des méthodes de cheminement photographique et d’aérotriangulation permettant d’envisager la suppression de la préparation, mais surtout consacrées aux levés à petites échelles, pour les territoires étendues des colonies qui n’étaient pas couverts par un réseau géodésique précis. Pour la carte de France, la stéréopréparation resta une étape essentielle des levés aériens, facilitée par l’avancement de la nouvelle triangulation et la diminution de l’échelle des levés. Ainsi, la normalisation des levés au 1 : 25 000 entraîna une réduction du nombre de clichés qui accéléra nettement la stéréopréparation, jusqu’à permettre à un opérateur avec un ou deux adjoints de préparer deux feuilles au 1 : 50 000 en une campagne d’été.

Notes
1552.

Rapp. SGA 1934-35, p. 51.

1553.

Ibid..

1554.

Voir supra, partie 4, chapitre 2.2.2.3.

1555.

SALLAT R. Sur un aspect de la préparation photogrammétrique en vue des levés réguliers de zones montagneuses. Le Bulletin des Ingénieurs Géographes, décembre 1950, 12, p. 97-103.

1556.

Voir glossaire.

1557.

La différence d’altitude entre les points étant connue, la distance pouvait être déterminée à partir de la mesure de l’angle de pente. Les coordonnées du point pouvaient ensuite être calculées trigonométriquement à partir des coordonnées du point géodésique et de mesures d’angle avec un autre point connu.

1558.

Rapp. SGA 1934-35, p. 51.

1559.

DANIEL R.E. Les résultats obtenus. Op. cit., p. 26.