Puisqu’une restitution « parfaite » ne nécessitant aucun complètement n’était pas envisageable, le SGA essaya de rationaliser cette étape inévitable en adaptant la méthode de restitution. A la fin des années trente, les études se focalisèrent sur la forme à donner aux stéréominutes. Dans la méthode habituelle, la restitution s’effectuait au crayon, mais les détails peu visibles étaient mis à l’encre et les courbes maîtresses repassées au crayon rouge. Ensuite, « le dessinateur de mise au net [dessinait] la stéréominute en signes et couleurs conventionnels en dehors de l’appareil de restitution »1570, en s’aidant des couples de clichés qu’il observait au stéréoscope. Je trouve que cette habitude de produire une stéréominute mise au net comme s’il s’agissait d’un document presque définitif témoignait parfaitement de la tentation omniprésente de supprimer l’étape du complètement. Mais dans la pratique, les compléteurs effectuaient un travail considérable qui les obligeait à travailler sur une réduction en bleu de cette minute pour faciliter son maniement et sa modification1571, puis à redessiner une nouvelle fois la minute en couleurs à la fin des opérations.
Quand le SGA eut renoncé au fantasme d’une restitution parfaite, cette situation aberrante du point de vue de la productivité entraîna la formalisation d’une méthode radicalement opposée à l’idée d’une stéréominute définitive, dans laquelle la minute n’était plus mise au net et restait une épure du terrain qui comportait seulement les courbes, les lignes planimétriques, et les petits signes conventionnels dessinés au crayon directement sur le coordinatographe du stéréotopographe. En simplifiant et en accélérant la mise au net lors de la restitution, cette méthode permettait d’envisager l’emploi d’équipes de restitution moins bien formées, qui n’avaient qu’à « être parfaitement honnêtes sans don topographique spécial »1572. Cette disposition était plus satisfaisante dans une perspective d’industrialisation du travail de restitution, mais reportait l’expertise topographique nécessaire sur l’opérateur de terrain chargé du complètement. Je pense d’ailleurs que sa généralisation à la fin des années trente reposait essentiellement sur la situation interne particulière du SGA, qui disposait alors dans son cadre permanent d’un beaucoup plus grand nombre de topographes aguerris que de restituteurs expérimentés.
L’important effort de formation de restituteurs fourni à partir de la fin des années trente et durant les années quarante révélait pourtant la volonté persistante d’améliorer la qualité de la restitution afin de réduire, voire de supprimer, le travail de complètement. Les dossiers topographiques que j’ai consultés à la cartothèque de l’IGN montrent que dès l’immédiat après-guerre, le complètement s’opérait de plus en plus souvent sur des tirages en bistre, témoignant de la diminution constante du nombre de retouches à effectuer, même si le travail du dessinateur-cartographe s’en trouvait compliqué. En 1944 et 1945, l’IGN expérimenta un procédé de précomplètement qui consistait à recueillir lors de la stéréopréparation le maximum d’information sur la toponymie, les limites administratives, la planimétrie et les détails peu visibles sur les photographies1573, c’est-à-dire à faire exactement ce qu’avait projeté le SGA dès 1938. Cependant, les résultats ne permirent pas d’envisager la suppression complète des opérations classiques de complètement dans les levés réguliers de la carte de France. D’autres essais de précomplètement exécutés en 1966 montrèrent finalement que « la méthode [donnait] satisfaction, la qualité et la richesse du document ainsi réalisé étant en tout point comparables à celles des travaux classiques », mais qu’elle restait en fait « plus onéreuse que la méthode conventionnelle »1574. Son développement était stimulé par la nouvelle orientation commerciale de l’IGN, qui lui imposait pour être compétitif « de réduire les délais de livraison au client […] à partir de la fin de la restitution »1575, mais elle ne fut là encore pas généralisée aux levés de la carte de France, pour lesquels les opérations de préparation couvraient encore une surface de 30 350 km2 la même année.
Ibid., p. 53.
Le tirage en bleu se révélait beaucoup plus facile à gratter et à modifier que le tirage en bistre ou la minute originale.
Rapp. SGA 1938-39, p. 55.
Rapp. IGN 1945, p. 30.
Exp. IGN 1966, p. 6.
Ibid..