4.2.1. La « scientificité » dans le discours cartographique.

4.2.1.1. L’habillage, un indicateur pertinent de la conception scientifique de la cartographie.

Si j’ai longuement insisté sur l’affirmation de la conception scientifique de la cartographie dans l’évolution des techniques et méthodes de levé, je n’ai pas encore souligné le rôle de la présentation graphique des cartes dans la dimension symbolique de cette affirmation. En tant que medium graphique, la carte est un instrument de communication que sa nature extrêmement synthétique, réunissant dans une image unique une grande quantité d’informations géographiques diverses, rend particulièrement complexe. Dans son Empire des cartes, Christian Jacob insiste sur le fait que « la métaphore et la rhétorique sont omniprésentes dans le “discours cartographique”, qui ne saurait se réduire aux seules lois quantifiables de la mesure et de la représentation topographique »1633. A sa suite, je pense que la scientificité de la carte ne se manifeste pas seulement dans les méthodes employées pour la dresser ou dans sa forme brute, le dessin cartographique, qui pourrait également être qualifié de forme nue par opposition avec la notion d’habillage regroupant tous les éléments autres que le dessin lui-même : échelle graphique ou numérique, quadrillage, légende, péritexte éditorial, etc. Cet habillage n’est pas un simple complément au dessin cartographique. Je pense qu’il cumule d’autres fonctions plus importantes : la certification de la validité des données présentées, à travers de multiples références institutionnelles censées la garantir ; et l’affirmation de cette validité, à travers une rhétorique plus ou moins complexe dont le but est de convaincre l’usager de la valeur scientifique des méthodes employées, puisque le postulat que seule la science permet une cartographie « exacte » et « objective » a depuis longtemps été adopté et naturalisé dans la culture occidentale. Je considère donc que l’évolution historique de l’habillage des cartes topographiques est un indicateur extrêmement pertinent pour étudier l’image que les éditeurs voulaient donner de la carte comme document graphique.

La base de données que j’ai conçue pour analyser mon corpus de feuilles comporte une section consacrée au codage de l’habillage1634. Elle est organisée autour de la notion d’item, un terme par lequel je désigne les éléments relativement primaires de l’habillage comme par exemple les amorces d’un quadrillage, les groupes d’éléments d’une légende ou une indication éditoriale comme le titre de la feuille ou son numéro. Chacun de ces items est défini par un niveau de complexité sur une échelle comportant trois niveaux, selon les connaissances scientifiques ou cartographiques nécessaires pour la compréhension de l’information donnée par cet item1635 :

  • niveau 1 : item ne nécessitant aucune connaissance cartographique ou scientifique, comme par exemple le titre de la feuille, le nom de l’éditeur, la date d’impression, le prix, ou des informations administratives comme l’indication d’une carte secrète ou réservée aux militaires (28 items) ;
  • niveau 2 : item nécessitant une connaissance cartographique ou scientifique de base, comme par exemple les échelles graphiques et numériques, les légendes, le numéro de la feuille et les tableaux d’assemblage (42 items) ;
  • niveau 3 : item nécessitant une véritable connaissance cartographique ou scientifique, comme par exemple les échelles de pente, les informations géologiques, les quadrillages, les indications de triangulation ou de système de projection (65 items).

Notes
1633.

JACOB Christian. L’Empire des cartes. Op. cit., p. 24.

1634.

Voir Annexe 2.

1635.

Pour une liste des différents items et du niveau de complexité que je leur ai attribué, consulter la base de données en ligne : http://carto.folkup.com