4.2.1.3. L’intégration de la documentation annexe.

Même si la complexification de l’habillage procédait essentiellement de facteurs externes, la technicisation et la normalisation toujours plus grande des méthodes cartographiques, je pense que leur traduction directe dans la présentation des cartes participait également à une complexification du discours sur la cartographie destiné aux usagers, conséquence de la diversification des utilisations. Au 19e siècle, l’emploi majoritairement militaire et administratif des cartes officielles avait maintenu la rhétorique du service cartographique dans le registre des arguments d’autorité simples : la seule mention d’une édition par le Dépôt de la guerre ou le Service géographique national suffisait à assurer de la qualité du document. Surtout, la carte s’adressait à des utilisateurs le plus souvent compétents. Elle ne constituait qu’une partie d’un ensemble de ressources, parmi lesquels se trouvait les tableaux de signes conventionnels, les publications des calculs de la triangulation, et les comptes-rendus de manœuvre pour les militaires, par exemple. Mais au cours du 20e siècle, la carte n’a cessé de s’ouvrir à de nouveaux utilisateurs qui n’avaient pas accès ou ne connaissaient même pas l’existence de cette documentation annexe, qui dut donc être en partie incorporée à l’objet-carte lui-même. Dans un colloque consacré à la cartographie des régions montagneuses en 1973, Cuenin rappelait clairement cette nécessité en affirmant que « l’habillage et la légende [devaient] fournir à l’usager tous renseignements utiles, sans initiation spéciale et sans nécessité de recourir à des documents annexes tels que tableaux de signes conventionnels »1637. De ce point de vue, l’augmentation régulière du nombre de cotes d’altitude n’était pas seulement une concession aux demandes des alpinistes, mais aussi une intégration dans le dessin même de la carte des listes de coordonnées géographiques issues de la triangulation.

L’évolution du contenu des légendes est révélatrice de l’incorporation des tableaux de signes conventionnels dans l’habillage de la carte (graphique 34). Alors que la carte d’état-major et les plans directeurs ne comportaient aucune légende1638, les types successifs des cartes de France au 1 : 20 000 et 1 : 50 000 connurent un accroissement systématique du nombre de catégories d’éléments présentées dans les légendes (voies de communication, limites administratives, constructions diverses, géodésie, hydrographie, orographie, glaciologie), dont le but évident était de limiter la nécessité de consulter les tableaux complets des signes conventionnels. Cette intégration de la documentation annexe reflétait également l’accession de la carte à une place centrale dans la documentation géographique, sous l’influence, entre autres, de la tradition vidalienne de la géographie, même si l’utilisation de nouveaux documents se développa à partir des années cinquante (photographies aériennes, orthophotographies, bases de données topographiques)1639.

Graphique 34 : Evolution du nombre moyen de catégories d’éléments dans les légendes des feuilles publiées entre 1860 et 1987.
Graphique 34 : Evolution du nombre moyen de catégories d’éléments dans les légendes des feuilles publiées entre 1860 et 1987.
Notes
1637.

CUENIN. Besoin des usagers et définitions des spécifications. In Colloque sur la cartographie des régions montagneuses, Paris – 23 mai 1973. Paris : Institut géographique national, 1973, p. 11.

1638.

A l’exception, dans mon corpus, de certaines éditions des plans directeurs en coupure double monochrome.

1639.

Voir infra, « Après 1960… », Conclusion.