4.2.3.1. L’industrialisation des levés et la figuration à l’effet du rocher.

Dans les années vingt, l’adoption du type 1922 et les expérimentations du SGA sur la représentation du relief uniquement en courbes de niveau avaient abouti à une méthode de figuration à l’effet du rocher qui était un compromis entre les approches scientifique et artistique1652. D’un côté, les zones représentées en courbes de niveau étaient plus étendues, avec l’utilisation du bistre pour les terrains meubles et du noir pour les terrains rocheux, et le dessin du rocher était confié au topographe lui-même plutôt qu’au dessinateur pour assurer une meilleure représentation de la nature du terrain. D’un autre côté, la figuration du rocher ne se voulait pas spécialement artistique, mais elle prenait cependant les traits d’une caricature topographique dans laquelle l’opérateur devait exagérer les lignes caractéristiques du terrain et appliquer un éclairage oblique, qui avait toujours été critiqué par les défenseurs d’une représentation géométrique. Ce compromis impliquait donc une tension paradoxale entre les volontés d’objectivité scientifique et d’expressivité, que je trouve particulièrement évidente dans ce passage du rapport d’activité du SGA de 1932 :

‘« La “représentation à l’effet” des massifs rocheux doit donner un figuré de terrain très expressif, tout en conservant dans le détail – comme le permet l’échelle – la fidélité obtenue par les procédés photogrammétriques de levé sur la minute dessinée en courbes. »1653

Bien accueillie par les utilisateurs exigeants qu’étaient les alpinistes1654, cette méthode fut utilisée jusqu’au milieu des années cinquante. Au cours des années vingt et trente, le SGA fournit un remarquable effort pour mettre à jour les feuilles de montagne, en particulier dans les Alpes où certaines coupures furent l’objet d’une révision de terrain spécialement consacrée à la représentation du rocher. Dans les dossiers topographiques, j’ai ainsi trouvé la trace de la révision de dix-sept coupures entre 1924 et 1926 pour la zone géographique couverte par mon corpus. Au niveau de la rédaction elle-même, la difficulté de reprendre les dessins ou croquis effectués par le topographe sur le terrain était résolue en faisant appel à des artistes spécialisés, une solution rendue possible par la faible production annuelle du SGA et la disponibilité d’un personnel qualifié.

La généralisation des procédés de restitution mécanisée de levés photographiques terrestres, puis aériens, modifia sensiblement la méthode de représentation du rocher, sans toutefois revenir sur la conception même de sa figuration à l’effet. La restitution permettait d’obtenir « la mise en place rigoureuse de toute l’ossature rocheuse et le tracé des courbes de niveau »1655, et la précision qu’elle atteignit à la fin des années trente permit de développer l’emploi des courbes dans des zones auparavant représentées à l’effet, tant que la pente et l’équidistance adoptée ne faisaient pas se toucher les courbes. Mais le dessin à l’effet du rocher était encore largement utilisé pour donner une représentation plus lisible et expressive des zones fortement déclives, dans une facture qui respectait les bases posées à la fin des années vingt : un éclairage oblique et des hachures orientées pour rendre la nature de la roche. Toutefois, le dessin du rocher n’était plus effectué directement sur le terrain par le topographe, mais à l’atelier par un dessinateur spécialisé qui s’appuyait sur les courbes restituées, sur les photographies et sur les éventuelles indications des brigades de complètement.

La rédaction du rocher n’échappait pas aux nouveaux impératifs industriels de rendement et d’économie. Selon la quantité de terrain rocheux présente sur une coupure, le rocher était soit intégré sur la planche de noir, afin de limiter les coups de presse, soit tiré sur une planche différente de noir rompu quand les surfaces rocheuses étaient importantes. Dans les cas particulièrement difficiles des régions de haute montagne comportant de nombreux affleurements rocheux mêlés aux surfaces de sol ordinaires – cas qui échappait à la volonté de rationalisation industrielle –, le rocher était dessiné sur la planche de bistre portant les courbes de niveau afin d’assurer la meilleure intégration possible, puis les planches étaient séparées par sélection photographique1656. En même temps, l’effort industriel de rentabilité était satisfait par l’augmentation des surfaces représentées en courbes seules, puisque cette méthode reposait uniquement sur la restitution mécanique et limitait l’emploi du personnel hautement qualifié indispensable pour le dessin à l’effet du rocher.

Notes
1652.

Voir supra, partie 3, chapitre 4.3.2.

1653.

Rapp. SGA 1931-32, p. 158.

1654.

En partie parce qu’ils avaient été consultés sur sa définition, Voir supra, partie 3, chapitre 4.3.2.1.

1655.

ALINHAC Georges. Rédaction cartographique. T.1. Op. cit., p. 16.

1656.

Les courbes de niveau étaient d’abord dessinées en rouge, pour pouvoir être éliminée du cliché du rocher en utilisant un filtre photographique rouge. ALINHAC Georges. Rédaction cartographique. T.2. Op. cit., p. 13.