4.2.3.2. Courbes « nues » ou « habillées », de nouveaux procédés plus topométriques.

Si pour la plupart des utilisateurs et des cartographes eux-mêmes, la figuration du rocher à l’effet présentait une expressivité et une précision très satisfaisantes, les partisans d’une représentation topométrique la critiquèrent de plus en plus sévèrement. Reprenant l’antagonisme ancien entre l’éclairage oblique et la représentation géométrique, ils reprochèrent à la mise en effet de ne pas être strictement basée sur la mesure, puisque les règles d’éclairage n’étaient pas systématiquement suivies et que certaines lignes étaient exagérées. Sur les cartes dépourvues d’estompage, ils critiquèrent également l’effet de « cloisonnement du relief » provoqué par l’utilisation d’un éclairage sur les seules masses rocheuses, ce qui rendait « très difficile sa perception d’ensemble »1657.

Soutenue par la volonté industrielle de limiter les procédés complexes nécessitant des compétences trop spécialisées, cette critique scientifique de la figuration du rocher à l’effet aboutit à l’expérimentation de deux procédés différents : les courbes « nues » et les courbes « habillées ». Le premier consistait à conserver presque intégralement les courbes issues de la restitution, imprimées en noir franc ou rompu dans les zones rocheuses selon leur étendue sur la feuille, en limitant la mise à l’effet du rocher « à un habillage sommaire, quand il ne disparaissait pas complètement »1658 (annexe 2, figures 13 et 14). Cette représentation en courbes pratiquement nues se rapprochait de celle expérimentée dans les années vingt, même si elle ne reprenait pas le système radical d’une représentation exclusivement en courbes de niveau que les spécialistes avaient jugé inapplicable aux échelles inférieures au 1 : 10 000. Le deuxième procédé consistait à imprimer toutes les courbes de niveau en bistre, mais à différencier les courbes de terrain rocheux en les dotant d’un habillage conséquent, c’est-à-dire en les complétant « par le dessin des fissures, éboulis, cannelures, etc…, identifiés sur les photographies »1659. Exécuté directement sur la courbe, ce dessin était différent de la mise à l’effet ; celle-ci était d’ailleurs conservée, en bistre également, dans les zones trop déclives pour le tracé des courbes.

En limitant le recours au dessin à l’effet, ces deux procédés s’inscrivaient dans la tentation topométrique d’une représentation exclusivement géométrique du relief. Cependant, leurs conséquences pratiques restèrent limités dans les Alpes du nord par l’avancée de la publication des cartes de France. En effet, compte tenu des difficultés financières de l’IGN, la majorité des feuilles dressées depuis les années vingt ne connut que des révisions avant l’application du type 1972, alors que seule une réfection aurait permis une modification profonde de la représentation du relief. Ainsi, dans mon corpus, les courbes nues ne furent employées que sur les feuilles Mont Blanc, Chamonix et Saint-Gervais dressées à partir des levés aériens du massif du Mont Blanc, selon moi surtout pour différencier la carte de France des cartes spécifiques du massif réalisées par les Vallot ou l’IGN1660. Adoptées officiellement en 1954, les courbes habillées ne furent effectivement utilisées que sur quelques feuilles alpines. Malheureusement, le codage nécessairement restritif des informations dans ma base de données ne permet pas de quantifier le nombre de feuilles utilisant ce procédé, notamment parce que le dessin à l’effet du rocher était maintenu dans certaines zones et que la quantification des surfaces couvertes par une figuration à l’effet aurait été trop complexe à mettre en œuvre pour la saisie de presque deux mille feuilles.

Cependant, là où l’analyse quantitative échoue, l’analyse qualitative peut être efficace, en particulier parce que l’impact de ces modifications de la représentation du relief dans la simplification de la rédaction est facilement observable. Les figures 15 et 16 de l’annexe 4 montrent le même détail de la feuille Chorges 1-2, respectivement pour l’édition des plans directeurs monochromes au 1 : 20 000 en 1939 (feuille id 1328) et pour la carte de France au 1 : 20 000 en 1956 (feuille id 1335). Les deux feuilles furent dressées à partir des mêmes levés stéréotopographiques terrestres de 1935 et 1936, avec seulement une mise à jour en 1956. Cet exemple est très révélateur du recul de la représentation du rocher à l’effet au profit de courbes légèrement habillées, presque intégralement reprises des stéréominutes de restitution. Si la représentation devient ainsi plus topométrique, elle perd aussi de son expressivité : au premier coup d’œil, il n’est pas évident de reconnaître dans ces deux détails la même région de relativement haute montagne (l’Aiguille culmine à 2 366 mètres).

Même si elle resta limitée dans les Alpes du nord, l’adoption de ces procédés n’en restait pas moins importante dans l’évolution de la cartographie de haute montagne, parce qu’elle marquait une nouvelle étape dans la négation de ses spécificités. En poursuivant la réduction des zones rocheuses figurées à l’effet engagée dans les années vingt, l’IGN limitait les particularités de la rédaction des feuilles de haute montagne, ce qui lui permettait de ne pas avoir besoin d’un personnel compétent et spécialisé comme en avait disposé le SGA quelques années auparavant. Surtout, l’institut accentuait ainsi la domination des préoccupations industrielles, tout en mettant en place un discours de nécessité scientifique qui justifiait les changements imposées par ces préoccupations.

Notes
1657.

Colloque sur la cartographie des régions montagneuses. Op. cit. Présentation et étude critique des meilleures cartes française et étrangère, p. 8.

1658.

Ibid., p. 7.

1659.

ALINHAC Georges. Rédaction cartographique. T.1. Op. cit., p. 17.

1660.

Voir infra, partie 4, chapitre 4.2.3.4.