4.2.3.3. Motivations industrielles et conception utilitariste.

Les procédés des courbes nues et habillées permettaient tous deux de limiter le recours au dessin à l’effet, comme le souhaitait les partisans d’une représentation plus géométrique, tout en simplifiant le processus de rédaction, comme le nécessitait l’industrialisation. Même si elles ne furent officiellement reconnues qu’après l’adoption des modes de représentation du relief plus topométriques, je pense que les motivations industrielles jouèrent un rôle dominant dans celle-ci. En effet, la limitation du rocher à l’effet se traduisait très pragmatiquement par un accroissement des opérations réalisables par un personnel moins qualifié. En particulier, les courbes nues pouvaient être presque intégralement reprises de la restitution mécanique des levés aériens. L’impact sur le rendement de la rédaction cartographique était considérable : Georges Alinhac reconnaissait lui-même que « cette tendance fut d’autant mieux acceptée qu’elle se traduisait par un abaissement du prix de revient de la rédaction et une économie de main-d’œuvre qualifiée »1661.

L’utilisation des courbes habillées en bistre se situait dans la même perspective de rendement et d’économie. Elle permettait non seulement de supprimer les problèmes de positionnement de la lettre noire sur le rocher à l’effet noire, qui nécessitaient souvent de longues opérations pour ménager une marge blanche autour des caractères, mais aussi d’économiser l’impression de la planche de rocher en noir rompu pour les feuilles à l’orographie complexe. Mon corpus de feuilles témoigne que le SGA avait d’ailleurs déjà ponctuellement utilisé la couleur bistre pour le rocher afin de diminuer les coûts d’impression dans les années trente, la première application datant de 1928 avec la feuille Névache de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000 type 1922 (graphique 35)1662. Mais cette utilisation se développa vraiment à partir du milieu des années cinquante avec l’adoption du procédé des courbes habillées pour une grande partie des feuilles publiées par l’IGN. Elle ne se généralisa pourtant jamais, et devint marginale dès la fin des années soixante, au moment même où le type 1972 était défini1663.

Graphique 35 : Evolution de l’utilisation du bistre pour représenter le rocher, de 1897 à 1987.
Graphique 35 : Evolution de l’utilisation du bistre pour représenter le rocher, de 1897 à 1987.

Si le service cartographique avait déjà expérimenté de nouveaux procédés de représentation du relief ou du rocher sur des feuilles publiées, l’application régulière sur de nombreuses feuilles de plusieurs types de représentation différents constituait un fait nouveau qui s’opposait radicalement à la conception d’une carte de France homogène, couvrant tout le territoire dans une facture unique et détaillée, comme la défendait notamment Hurault. Cette simplification et cette diversification de la représentation du relief étaient des conséquences directes de la situation financière difficile de l’IGN sur la facture de la carte de France, comme l’adoption du type 1968 simplifié1664 – qui ne concerna pas les feuilles des Alpes, déjà toutes publiées dans le type 1922 « normal ».Alain Sinoir rattachait également ces évolutions aux besoins plus variés liés à l’aménagement du territoire. Il résumait la pensée des « pragmatiques », partisans d’un achèvement rapide de la couverture nationale et d’une adaptation des feuilles aux besoins liés à la nature de la région représentée, en expliquant que « le développement très inégal de l’aménagement du territoire [montrait] désormais à l’évidence qu’une carte régulière au 1 : 20 000 ne [répondait] plus aux besoins des zones fortement urbanisées (qui exigent des plans à plus grande échelle) alors qu’elle [était] trop “riche” pour les zones rurales, forestières ou montagneuses à faible densité d’habitat », et que « la poursuite d’une cartographie uniforme [devenait] un luxe auquel, en bonne gestion, il [convenait] de renoncer »1665. Cette justification traduisait l’affirmation définitive de la conception utilitariste après le départ de Hurault de la direction.

Notes
1661.

Colloque sur la cartographie des régions montagneuses. Op. cit. Présentation et étude critique des meilleures cartes française et étrangère, p. 7.

1662.

Le graphique montre une utilisation du bistre pour le rocher dès 1925, mais il s’agit de réimpression tardive de feuilles de la carte de la frontière des Alpes au 1 : 80 000 (voir supra, partie 2, chapitre 3.3.2), pour laquelle l’utilisation du bistre répondait surtout à des problèmes de lisibilité. La date de 1925 est d’ailleurs incertaine, puisque la seule indication temporelle sur ces feuilles est une inscription au crayon.

1663.

Voir infra, « Après 1960… », 2.

1664.

Voir supra, partie 4, chapitre 1.3.2.2.

1665.

SINOIR Alain. 1940-1990 : une histoire mouvementée. Op. cit., p. 47-48.