4.2.4.3. Une carte de prestige sans utilité pratique.

La facture somptueuse et le contenu riche et détaillé firent de cette carte davantage une réalisation de prestige qu’un véritable outil pratique. Dans un article à la destination des alpinistes, paru dans l’organe officiel du Club alpin français, l’ingénieur géographe en chef Baby la présentait comme « une très belle réussite dans le domaine cartographique, [devant] fournir à tous les usagers : ingénieurs, alpinistes, militaires, l’image la plus complète et la plus fidèle qui ait été donnée du plus important massif des Alpes »1672. Mais l’échelle trop grande pour une utilisation sur le terrain et insuffisante pour les besoins techniques de l’aménagement du territoire, la facture trop complexe aussi pour des applications techniques nécessitant un dessin simple et peu chargé, la rendaient en fait peu propice aux usages pratiques. Chef-d’œuvre de l’art cartographique, elle se rapprochait, non par ses fondations techniques mais par son apparence proche d’un tableau, des cartes prestigieuses du même massif publiées à la fin du 19e siècle par Adams-Reilly ou Viollet-le-Duc.

Selon moi, sa principale fonction était en fait d’affirmer la maîtrise technique du service cartographique, tant d’un point de vue international dans le domaine de la photogrammétrie aérienne et de la cartographie de montagne, que d’un point de vue national face à l’œuvre des topographes-alpinistes. Le choix du massif du Mont Blanc, évident par sa fréquentation touristique et sa réputation générale, s’imposait d’autant plus qu’il permettait d’imposer cette maîtrise sur le terrain même où les topographes-alpinistes l’avaient remise en cause avec la célèbre carte Vallot, qui connaissait un succès éditorial considérable auprès des alpinistes dans sa généralisation au 1 : 50 000 – nouvelle preuve que l’échelle du 1 : 10 000 était bien trop grande pour une utilisation pratique. Les feuilles Chamonix et Mont Blanc des cartes au 1 : 20 000 (puis 1 : 25 000) et 1 : 50 000, ainsi que l’édition spéciale touristique couvrant le massif du Mont Blanc publiée en 1970, connurent d’ailleurs un beaucoup plus grand succès que la carte au 1 : 10 000, réservée aux amateurs fortunés – et restée inachevée.

Notes
1672.

BABY E. La carte du Mont-Blanc. Op. cit., p. 30.