Après 1960 : l’incursion de la problématique commerciale dans la représentation du relief.

Pour l’Institut géographique national, les années soixante furent une période de changements profonds. Depuis la fin des années vingt, son évolution institutionnelle et technique avait été dominée par l’industrialisation des procédés de levés aériens autour du stéréotopographe Poivilliers, mais les années cinquante avaient montré que le statut de service technique extérieur n’était finalement pas adapté à une activité cartographique que les autorités publiques n’arrivaient toujours pas à concevoir sur le long terme1676, et la décennie suivante que le stéréotopographe cloisonnait l’IGN dans un système technique inapproprié au développement des utilisations de la photographie aérienne1677. La réaction de l’institut face à ces impasses posa les bases de son organisation actuelle, orientée vers une activité commerciale qui dépasse le seul domaine de la cartographie stricto sensu pour intégrer les formes nouvelles de l’information géographique. Dans une certaine mesure, je pense d’ailleurs que l’IGN d’aujourd’hui s’explique essentiellement par l’évolution des quarante dernières années, l’héritage de deux siècles de cartographie de la France constituant plus un patrimoine à mettre (plus ou moins bien) en valeur que la fondation de son activité actuelle. Dans le domaine de la cartographie de haute montagne, les années soixante marquaient aussi la fin des entreprises spéciales et l’intégration dans une conception plus générale de la carte de France qui limitait – sans toutefois les supprimer complètement – les spécificités de la représentation des régions montagneuses. Pour toutes ces raisons, j’ai fixé la borne chronologique postérieure de mon étude à la fin des années cinquante, même si pour certains aspects particuliers, la partie précédente a traité de périodes légèrement postérieures.

Cependant, mon analyse de sources plus récentes a soulevé des problématiques qui m’ont semblé importantes, non seulement pour l’étude des particularités de la cartographie topographique de la haute montagne en France aux 19e et 20e siècles, mais aussi pour l’histoire plus globale de la cartographie française à laquelle j’ambitionnais de participer. J’ai donc réuni dans cette partie, que j’envisage comme une sorte de pré-conclusion posant les bases d’une histoire de la cartographie présente encore à faire, des pistes de recherche qui mériteraient d’être approfondies, avec la mise en place d’un protocole d’étude sensiblement différent de celui que j’ai utilisé, probablement fondé sur de nombreux entretiens, des visites d’ateliers et de laboratoires, et d’autres méthodes propres à l’histoire très contemporaine. J’y aborde surtout des questions rattachées à certaines problématiques fondamentales de mon travail. Après avoir présenté l’évolution institutionnelle de l’IGN vers une orientation plus commerciale, je présenterai son impact sur la normalisation de la représentation du relief dans le type 1972. Si cette normalisation accentua le déclin des spécificités de la cartographie de montagne, elle marqua aussi le retour à une volonté d’homogénéisation de la carte de France, qui me permettra de revenir finalement à une question centrale : la signification d’une carte de base ayant retrouvé certaines caractéristiques de la conception fixiste, dans une production cartographique dominée par la conception utilitariste.

Notes
1676.

Voir supra, partie 4, chapitre 1.

1677.

Voir supra, partie 4, chapitre 3.4.