1.3.3. L’écoute des usagers.

Critiqué par les partisans d’une carte de France homogène et détaillée1692, le type 1968 fut également très mal reçu par les opérateurs de l’IGN et les utilisateurs eux-mêmes, qui se plaignaient, les uns d’avoir l’impression de bâcler le travail sur le terrain, les autres de ne pas retrouver la même valeur de renseignement. Alain Sinoir rappelle d’ailleurs que l’Association des ingénieurs géographes (AIG) vota « le 9 novembre 1967 une motion condamnant la nouvelle carte, démarche grave qui [provoqua] une regrettable scission au sein de leur corps »1693. Dans une certaine mesure, la remise en cause du type simplifié sous la pression des utilisateurs et du personnel de l’IGN s’inscrivait dans un rejet d’une conception purement industrielle de la mission cartographique de l’institut, probablement influencé par l’esprit de mai 1968, qui refusait de réduire la valeur de la carte dans le seul but de l’achever plus rapidement – même si ses conséquences furent essentiellement l’adaptation à de nouvelles techniques garantissant une meilleure productivité.

La dissension était suffisamment critique, notamment au sein du personnel de l’IGN, pour qu’« en juin 1969, le Conseil d’Administration de l’I.G.N. [approuvât] la création d’un groupe d’études chargé de préciser la mission de l’établissement en ce qui [concernait] l’équipement géographique de base du territoire national »1694. Formé de sept ingénieurs géographes et du conseiller d’Etat Doumenc, présidé par le directeur de l’institut, ce groupe devait définir l’équipement géographique national à long terme, en fixant des échéances raisonnables, les méthodes les plus économiques possibles et les besoins en personnel et en matériel. Alors que Georges Alinhac voyait dans cette initiative « l’occasion de réviser la conception même de la carte à l’issue d’une période de transition, afin de l’adapter au mieux aux besoins des utilisateurs et aux nouvelles techniques de réalisation »1695, j’intègre ces trois changements (transition institutionnelle, mutation technique et modification de la carte de base) dans une évolution exclusive vers la conception de la carte comme un produit utilitaire – voire un produit de consommation.

L’IGN appliqua d’ailleurs des méthodes parfaitement commerciales pour déterminer ce que les utilisateurs (ses clients) attendaient des cartes (ses produits). Il réunit ainsi sept tables rondes d’usagers pour étudier les propositions du groupe d’étude sur l’équipement géographique, chacune représentant un secteur de clientèle potentiel :agriculture, armée, cadastre et géomètres, aménagement du territoire, géographie physique et humaine, cartographie thématique et cartographie touristique. Même si ces tables rondes acceptèrent l’ensemble des propositions du groupe de travail, elles avaient confirmé que ces propositions répondaient suffisamment aux besoins et aux attentes des utilisateurs, et non seulement aux tendances scientifique ou industrielle qui se manifestaient habituellement à l’IGN. En ce sens, leur réunion montrait l’ouverture définitive de l’IGN à des problématiques commerciales.

Notes
1692.

Voir supra, partie 4, chapitre 1.3.2.2.

1693.

SINOIR Alain. 1940-1990 : une histoire mouvementée. Op. cit., p. 43.

1694.

ALINHAC Georges. La carte de France au 1 :25 000. Op. cit., p. 2.

1695.

Ibid..