Sous bien des aspects, la mise au point et l’adoption du type 1972 s’inscrivait dans la problématique industrielle de productivité qui dominait l’évolution de l’IGN depuis les années trente, mais sa genèse fut en fait plus complexe et originale qu’une simple adaptation à des procédés de production industrielle. Si la remise en cause du type simplifié déboucha essentiellement sur des modifications techniques qui accroissaient l’industrialisation du processus cartographique, elle permit également de questionner plus ouvertement la place de la carte de France dans l’équipement national et d’affirmer plus fortement la nécessité de lui donner une valeur ajoutée importante par la qualité et la quantité des informations qu’elle contenait.
Les spécifications officielles du type 1972 traduisaient bien la remise en question de la carte de base au 1 : 25 000 et de son dérivé direct au 1 : 50 000 – que ce soit en types 1922 ou 1968. Le rôle de chacune des cartes était mieux précisé. La carte au 1 : 25 000 était décrite comme « une représentation fidèle et objective des éléments fixes et durables existant à la surface du sol à un moment donné », un « document technique » pouvant donner des « agrandissements jusqu’à l’échelle du 1 : 10 000 […] pratiquement exploitables dans les mêmes conditions que les documents directement établis à cette échelle »1706. Si elle reprenait les arguments anciens des possibilités d’agrandissement au 1 : 10 000, cette définition était surtout caractérisée par son affirmation de la carte au 1 : 25 000 comme un document de base riche et périodiquement mis à jour, en opposition avec les tentatives de simplification des années soixante. Au contraire, la carte au 1 : 50 000 était confirmée dans son caractère de généralisation : elle devait « permettre de situer et de classer les voies de communication, de faire ressortir les obstacles de parcours et les couverts, de permettre une identification rapide et précise des détails caractéristiques du paysage et de définir la planimétrie et le relief d’une manière à la fois topométrique et descriptive », « ses qualités essentielles [étant] la clarté et la lisibilité »1707.
Ces définitions donnaient une place centrale à l’utilisation de la carte et s’inscrivaient dans l’affirmation d’une plus grande considération pour les besoins des utilisateurs. Je trouve que les choix opérés en matière de simplification reflètent particulièrement cette généralisation de la conception utilitariste de la cartographie. Dans ce domaine, la problématique industrielle était resté prédominante jusque-là, parce qu’une carte plus simple était une carte plus rapide à lever (éventuellement avec des photographies aériennes à plus petite échelle), plus rapide à dresser, plus rapide à réviser également – un facteur crucial quand l’accélération considérable de l’aménagement du territoire en France depuis les années cinquante et l’affirmation du rôle utilitaire de la cartographie n’avaient cessé d’accroître l’importance de la révision régulière d’une carte dont on peinait encore à envisager l’achèvement prochain. Mais l’affirmation de l’avis des utilisateurs face à la simplification excessive du type 1968 avait favorisé une position plus retenue pour le type 1972, dont la simplification par rapport au type 1922 s’était limitée à une certaine rationalisation des informations contenues dans la carte en fonction des besoins des utilisateurs, afin d’équilibrer les gains en productivité et les exigences de ces derniers.
Avec cette recherche de validation par les utilisateurs des choix opérés par les ingénieurs géographes du groupe d’étude, la définition du type 1972 procédait autant d’une vision globale de la cartographie, « il faut faire la carte ainsi », que d’une vision pragmatique, « les utilisateurs la veulent ainsi ». Elle marquait l’affirmation d’une orientation commerciale qui n’avait été que très partiellement et irrégulièrement considérée par le service cartographique jusqu’à cette date. L’institut s’inscrivait ainsi définitivement dans ce que j’ai qualifié de conception utilitariste de la cartographie, qui consistait à privilégier l’approche pragmatique et concrète de la carte comme outil ou produit, plutôt que l’approche conceptuelle de la carte comme tableau du territoire. Mais, étrange paradoxe, cette conception de la carte comme un produit devant répondre aux attentes d’un public favorisa, dans le domaine de la représentation du relief, la persistance limitée de la tradition figurative – caractéristique de la conception fixiste.
Spécifications de l’équipement géographique de base du territoire national. Paris : Institut géographique national, 1972, p. 2.
Ibid., p. 3.