3.2.2. La spécificité touristique des cartes de montagne.

L’aspect touristique revêtait une importance toujours plus grande dans la cartographie des régions montagneuses françaises, qui étaient ou devenaient pour la plupart des centres touristiques importants. Je vois dans le colloque de 19731727 une preuve indirecte de la place centrale prise par le tourisme de montagne dans les préoccupations cartographiques liées à ces régions. En effet, dans le compte rendu du colloque, le problème pourtant qualifié de « fondamental »1728 de la représentation du relief était rapidement traité en cinq pages (dont quatre d’historique), témoignant de l’acceptation unanime des spécifications du type 1972, alors qu’une quinzaine de pages détaillait le reste des discussions, essentiellement consacrées à la représentation des informations à destination touristique. La partie traitant de la « cartographie spéciale des régions de montagne » se concentrait d’ailleurs sur les questions du découpage et de la mise en valeur des thèmes touristiques, parmi lesquels les informations nécessaire à « la plus grande sécurité » « au moment où la fréquentation de la montagne [s’ouvrait] à des personnes peu averties »1729.

Alors que la représentation du relief était fortement normalisée et que l’orientation commerciale de l’IGN le poussait à s’occuper de la mise en valeur touristique du fonds topographique, la cartographie des régions montagneuses conservait-elle une spécificité justifiant des éditions spéciales comme la série violette ou la carte du massif du Mont Blanc ? La question était loin d’être anecdotique, et elle n’était d’ailleurs pas négligée dans le colloque de 1973, durant lequel Cuenin se demandait : « doit-on considérer les cartes de montagne comme des publications spéciales relatives à des régions choisies, avec une facture distincte de celle de la carte topographique de base, ou doit-on pousser aussi loin que possible la ressemblance des deux productions, à la limite, attribuer à la carte de base relative aux régions montagneuses, les spécifications répondant aux besoins de tous les usagers (surcharge touristique mise à part) ? »1730 Si lui-même se prononçait pour la deuxième solution, pour des questions d’économie et d’homogénéité, le directeur de l’IGN « M. Laclavère [estimait] indispensable d’avoir une carte spéciale pour chaque massif »1731, une position probablement justifiée par la volonté d’une politique commerciale dynamique répondant à l’explosion du tourisme de montagne. Pour autant, l’essentiel du débat s’était focalisé sur des questions liées à la surcharge touristique, en particulier sur la proposition, soutenue par la majorité des représentants, d’établir des éditions séparées pour les activités d’hiver et d’été. La facture du fonds topographique lui-même n’étant pas remis en cause, les positions de Laclavère et de Cuenin n’étaient d’ailleurs pas opposées dans la pratique.

Finalement, la solution choisie par l’IGN concerna l’ensemble du territoire, avec l’intégration des informations touristiques des cartes dérivées dans la carte de base série bleue. Dans les Alpes, depuis l’adoption des coupures quadruples et de la présentation pliée sous couverture pour le type 1972, la série violette ne s’en différenciait que par les informations touristiques en surcharge et un découpage plus approprié. Mais dans le but de remplacer progressivement cette série dérivée par la carte de base elle-même, l’IGN développa sensiblement l’emploi des débordements quand ils étaient jugés nécessaires pour offrir une plus grande cohérence à la surface couverte par une feuille. La série bleue reçut également les informations touristiques que comportait la série violette, en particulier celles nécessaires aux randonneurs et aux alpinistes. Cet enrichissement touristique donna naissance à une série spéciale, qui n’était pas éditée en parallèle de la carte de base, comme l’avait été la série violette, mais comme remplacement à la carte de base dans les régions touristiques : la TOP 25.

En définitive, je pense que la seule spécificité que conservait la cartographie de montagne était son orientation touristique de plus en plus marquée, puisque les activités pratiquées en montagne, comme le ski ou l’alpinisme, étaient suffisamment spéciales pour justifier une mise en valeur touristique des cartes différentes de celle adoptée pour d’autres types de région. J’affirme même qu’à partir des années soixante-dix, la spécificité de la cartographie de montagne n’était plus justifiée que par son potentiel commercial, c’est-à-dire les particularités de l’utilisation des cartes (conception utilitariste), et non par les particularités géographiques du relief lui-même, c’est-à-dire la topographie (conception fixiste, même dans ses travers comme l’ignorance des hautes régions au 19e siècle). Au sein de la nouvelle politique commerciale de l’IGN, qui avait participé à l’affirmation de l’aspect touristique de la carte de base, cette spécificité se traduisit dans la pratique cartographique par le développement de collaborations avec les organismes concernés par la représentation topographique des régions montagneuses.

Notes
1727.

Colloque sur la cartographie des régions montagneuses. Op. cit.

1728.

Ibid., p. 11.

1729.

MICHOT. Problèmes posés par le recueil des données destinées à compléter, améliorer et mettre à jour les fonds de cartes. In Colloque sur la cartographie des régions montagneuses. Op. cit., p. 21.

1730.

CUENIN. Besoin des usagers et définitions des spécifications. In Colloque sur la cartographie des régions montagneuses. Op. cit., p. 12.

1731.

Colloque sur la cartographie des régions montagneuses. Op. cit., p. 19.