L’aspect du Liban est un sujet polémique qui a suscité beaucoup de débats et même des disputes entre les différentes communautés composantes la société depuis la constitution du pays. Mais il est devenu saillant depuis l’indépendance du pays en1943. Les Musulmans perçoivent le pays comme une partie du monde arabe, surtout, à l’époque de la prospérité du nationalisme arabe dans les années soixante. En fait, c’est une question inhérente à l’histoire du pays et dans la situation complexe dans la région qui a accompagné son édification.
Effectivement, c’est une question considérée comme l’une des conséquences des décisions géopolitiques prises au début de XX° siècle où la France et l’Angleterre s’attribuaient chacune une partie du Proche-Orient après l’effondrement de l’empire Ottoman.
A l’époque, le but de la France était de briser la résistance syrienne guidée par l’Emir Fayçal, ami de l’Angleterre, et de l’empêcher de réaliser le projet de « nationalisme arabe des villes et de se servir du Liban de majorité chrétienne et profrançais…pour cela il fallait prendre le risque géopolitique de créer un Grand Liban indépendant du reste de la Syrie » 711 .
Et dans le but de « modeler la Syrie au mieux des intérêts de la France » 712 , en faisant un morcellement poussé du territoire syrien, De Caix, R., dans son rapport intitulé « Esquisse d’organisation de la Syrie sous la mondât français », fait le 17 Juillet 1920, conseillait le gouvernement de respecter les vœux d’indépendance des chrétiens libanais. Pour lui, l’importance politique du Liban, surtout de la montagne libanaise, réside dans le fait que la majorité de la population était chrétienne et profrançaise. Il l’opposait clairement à la majorité musulmane de la Syrie. Et afin d’assurer une transformation du pays, il proposait une méthode menant à réaliser un bouleversement social profond des populations à travers la politique de franciser le plus possible de la population par l’action des agents français sur place, et de ne pas fondre le Liban dans une confédération Syrienne. Il poursuivait, « le Liban…plus avancé…plus occidentalisé… veut d’autant moins s’y fondre avec elle [la Syrie] qu’il n’a pas confiance dans la majorité musulmane de ce pays…nous avons intérêt à utiliser les traditions de solidarité du Liban avec la France pour franciser le plus possible une population en grande majorité chrétienne et qui penche non vers la Syrie mais vers les pays d’outre-mer » 713 . D’où l’origine de controverse à propos de l’aspect du Liban.
Ainsi, les Chrétiens au Liban, généralement, refusent l’aspect arabe du pays, perspective adoptée par les Musulmans. Ils insistent sur leur particularité chrétienne afin de se distinguer. Idéologiquement, ils considèrent le pays d’origine phénicienne.
Dans les dernières décennies, il y a des nouvelles voix, qui n’ont pas convaincu de l’origine phénicienne du pays pour se distinguer, puisque la civilisation phénicienne s’étendait sur le côté Est de la Méditerranée comprenant un partie de la Syrie. Et en même temps ces voix refusent que le pays soit fondu avec la Syrie en adoptant le choix politique d’une confédération syrienne dont l’arabité est le caractère principal. Ce sont des voix considérant le pays ’’proprement libanais’’, ni phénicien, ni arabe, avec ses ‘’propres caractéristiques‘’ résultants d’une expérience particulière du partage culturel ‘’particulier’’ du pays, et d’un mélange culturel islamo-chrétien dans lequel les deux cultures s’enchevêtrent et se complètent.
Le but de ce tableau est de savoir s’il y a une dépendance entre les perceptions des jeunes de l’aspect du Liban et leurs attitudes et leurs convictions concernant la cause principale du pays. En supposant que les jeunes souhaitent un aspect qu’ils considèrent le meilleur pour éviter le renouvellement de la cause des conflits, que ce soit le confessionnalisme, l’opposition politique ou l’absence d’un accord global.
Les résultats montrent que la dépendance est significative puisque ceux qui refusent le confessionnalisme, se focalisent sur le choix d’un pays proprement libanais et font 63,6%, ou bien un pays arabe avec ses propres caractéristiques et font 67,1%. Alors que les jeunes percevant que l’opposition politique entre les Chrétiens et les Musulmans se concentrent à 17,9% autour du choix considérant le Liban en tant qu’une partie du monde arabe, et ceux qui croient que le Liban est un pays proprement libanais constituent un groupe de 12,7%. Concernant les jeunes qui pensent qu’un accord global entre toutes les confessions est absent, la majorité 80% pensent que le Liban est un pays phénicien, et 71,8% conçoivent le pays comme une partie du monde arabe.
Nous constatons que les jeunes souhaitant sortir du l’influence perverse du confessionnalisme en tant que cause principale de la guerre, envisagent un choix neutre, un Liban ni purement arabo-musulman ni exclusivement chrétien. Pourtant les jeunes appuyant l’opposition politique entre les Chrétiens et les Musulmans, ou l’absence d’un accord global entre toutes les confessions en ignorant le confessionnalisme ont choisi des aspects du pays qui reflètent l’opposition traduite par des choix indifférents aux aspects ’’ neutres’’ du pays (en tant que choix en confrontation contre le confessionnalisme,) en faisant des choix l’extrêmes, soit une partie du monde arabe, soit un pays phénicien, choix en harmonie avec l’opposition perçue.
La dépendance est significative. chi2 = 20,00, ddl = 8, 1-p = 98,97%.
% de variance expliquée : 5,71%
Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique.
Attention, 5 (33.3%) cases ont un effectif théorique inférieur à 5, les règles du chi2 ne sont pas réellement applicables.
Le chi2 est calculé sur le tableau des citations (effectifs marginaux égaux à la somme des effectifs lignes/colonnes).
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 175 observations.
Que ce soit un pays à un visage arabe ou un pays arabe à ses propres caractéristiques - comme étant une proposition modérée - l’arabité reste l’aspect adopté par les Musulmans.
Avec cet éveil du nationalisme arabe au Proche-Orient, un vent nouveau souffle en tempête sur les rives de l’ancienne Phénicie chez la plupart des Chrétiens (majorité Maronites) en insistant sur l’idée que l’origine du pays revient au second millénaire avant Jésus-Christ. L’époque de la civilisation phénicienne, dont l’influence est considérable sur le Liban, puisque certaines villes principales portent jusqu’à aujourd’hui des noms phéniciens : Tyr, Byblos…etc. Ils considèrent qu’il « est nécessaire de déclarer pour la plus grande clarté […] et que nous le voulions ou non, il faut admettre que, même de nos jours, nous subissons l’influence de la culture phénicienne » 714 .
A côté de cette partie des Chrétiens, il y a une autre partie (majorité Orthodoxes) qui adopte l’idée du nationalisme arabe et l’arabisme comme choix culturel, cet arabisme considéré comme « l’œuvre de l’élite Chrétienne » 715 .
Entre ces deux choix culturels de l’aspect du pays, lequel préfèrent les jeunes d’après guerre ? Et est-ce qu’ils proposent des nouveaux aspects ?
La plupart des jeunes, 40%, proposent que le Liban soit un pays arabe qui a ses propres caractéristiques qui le distinguent des autres pays arabe de la région. Face à 31,4% des jeunes considérant le pays proprement libanais, ni arabe, ni phénicien. Cependant ceux qui le perçoivent comme une partie du monde arabe font 22,3%. Chiffre pas très éloigné des jeunes adoptant la perspective de coexistence proposée par Chiha, M., qui font 15,4%. Ces chiffres diminuent jusqu’à 8,6% pour ceux qui pensent que le Liban est un pays phénicien.
Nous constatons que les jeunes ne nient pas que le Liban puisse être un pays arabe, c’est pourquoi ils lui accordent une spécificité en disant qu’il a ses propres caractéristiques résultantes de ce mélange religieux islamo-chrétien, rare dans la région. Ils perçoivent aussi que le pays est digne d’avoir un aspect propre à lui, en le considérant proprement libanais tout simplement.
Nous concluons aussi que l’idéologie phénicienne a subit une régression considérable face au choix culturel arabe du pays. Mais paradoxalement, ce n’est pas le choix que souhaitaient les Musulmans, puisque la majorité des jeunes refuse que le pays soit fondu avec les pays arabe. Il est un pays arabe mais avec des limites en respectant la particularité Chrétienne en les traitant en tant qu’un partenaire des Musulmans et non en tant qu’une minorité comme est la situation dans la plupart des pays arabes.
La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 46,43, ddl = 5, 1-p = >99,99%.
Le chi2 est calculé avec des effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.
Le nombre de citations est supérieur au nombre d'observations du fait de réponses multiples (6 au maximum).
Comment les jeunes perçoivent l’aspect du Liban d’après leur répartition confessionnelle ? Une question, qui nous semble indispensable à traiter afin de savoir si les jeunes d’après guerre sont sortis des perceptions adoptées chez les confessions depuis longtemps, ou à l’inverse s’ils continuent à percevoir l’aspect du pays chacun selon l’avis adopté par sa confession.
Commençons par les Maronites. Presque la moitié, 48 ,6%, perçoivent que le Liban est un pays proprement libanais, pourtant le pourcentage le plus bas11, 4% est pour ceux qui pensent que le pays est une partie du monde arabe.
Les Orthodoxes, 51,4% des jeunes adoptent la même perspective des Maronites considérant en majorité le Liban un pays proprement libanais, et en minorité 5,7% l’avis que le pays fait une partie du monde arabe.
Les Musulmans : chiites 57,1% et Druzes 51,4% partagent les Maronites et les Orthodoxes leur opinion à propos de l’aspect du pays. Les chiffres chutent jusqu’à 8,6% chez les chiites considérant le Liban est proprement libanais, et jusqu’à 2,9% chez les Druzes percevant le Liban comme pays phénicien.
Concernant les Sunnites, il apparaît que plus que la moitié, 54,3%, pensent que le Liban est une partie du monde arabe, cependant, la minorité est composée de ceux qui perçoivent le Liban comme pays phénicien, faisant 2,9%.
Nous constatons que l’aspect du Liban n’est plus une question conflictuelle entre les Musulmans et les Chrétiens. Un rapprochement considérable des perspectives est perçu entre eux. Plus que les trois quarts des Chrétiens ont abandonné l’idée que le Liban est un pays phénicien. Face à une majorité Musulmane qui refuse la relation fusionnelle entre le Liban et les pays arabes, en insistant sur propres caractéristiques libanaises.
La plupart des jeunes Chrétiens et Musulmans défendent une identité particulière du pays. Cela signifie qu’ils sont sortis de l’héritage culturel confessionnel transmis à travers la socialisation, et que la question de l’arabité du pays n’est plus pour les Chrétiens une menace islamique, et une persécution Ottomane. La notion de l’arabité du Liban se repose sur des nouveaux fondements. Et l’aspect du pays n’est plus un sujet antagonique et incertain.
La dépendance est très significative. chi2 = 64,64, ddl = 16, 1-p = >99,99%.
% de variance expliquée : 9,23%
Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique.
Attention, 6 (24.0%) cases ont un effectif théorique inférieur à 5, les règles du chi2 ne sont pas réellement applicables.
Le chi2 est calculé sur le tableau des citations (effectifs marginaux égaux à la somme des effectifs lignes/colonnes).
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 175 observations.
En essayant de voir la répartition des opinions des jeunes à propos du l’aspect du pays selon le type d’éducation qu’ils ont reçu, nous observons que la plupart des étudiants des écoles Privées religieuses, 35,2%, choisissent l’aspect proprement libanais du pays, alors que presque la moitié, 42,4%, des ressortissants des écoles Privées laïques favorisent le choix d’un pays arabe qui a ses propres caractéristiques, face à 47,5% des jeunes adhérents à des écoles Publiques.
Nous constatons que les jeunes ressortissants des écoles Privées religieuses ont considérablement abandonné les perspectives courantes chez leurs confessions. Par exemple les étudiants Chrétiens pensant que le Liban est phénicien ne font que 14,8%.
Nous remarquons qu’ils soient étudiants d’une école Privée religieuse, Privée laïque ou Publique, presque la moitié des jeunes conçoivent le Liban comme un pays arabe qui a ses propres caractéristiques. C’est là où consiste le point de divergence entre les jeunes Chrétiens et Musulmans concernant l’aspect du pays.
La dépendance est significative. chi2 = 15,58, ddl = 8, 1-p = 95,12%.
% de variance expliquée : 4,45%
Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique.
Le chi2 est calculé sur le tableau des citations (effectifs marginaux égaux à la somme des effectifs lignes/colonnes).
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 175 observations.
La répartition des avis des jeunes selon leur lieu de résidence nous montre que le plus haut pourcentage des habitants de Beyrouth est de 33,3% d’individus considérant l’aspect des pays comme proprement libanais. Or, le plus bas pourcentage est 8,8% des personnes qui perçoivent le Liban une partie du monde arabe. Alors qu’au Mont Liban, on a la même pensée que les résidents à Beyrouth, mais le pourcentage est plus élevé 50%, alors que la minorité, 2,3%, est composée de ceux qui ont choisi l’aspect phénicien.
Au Nord du pays, la moitié des jeunes pensent que le Liban est une partie du monde arabe, face à 16,7% des jeunes considérants le pays comme ayant un visage arabe ou proprement libanais.
La plupart des jeunes résidents à la Békaa, 64,3, pensent que l’aspect du pays est arabe avec ses propres caractéristiques. Pourtant un petit groupe de 7,1% perçoit le Liban en tant que pays proprement libanais.
Au Sud, la moitié des jeunes voient le Liban comme pays arabe avec ses propres caractéristiques, tandis que les chiffres se réduisent jusqu’à 6,3% pour les jeunes choisissant l’aspect phénicien du pays.
Nous remarquons, que les habitants au Mont Liban et à Beyrouth, partagent la même perspective : un pays proprement libanais, et les résidents à la Békaa et au Sud du pays sont d’accord que le Liban est un pays arabe avec ses propres caractéristiques, le choix le plus favorable de la part des jeunes de toutes les régions.
La dépendance est très significative. chi2 = 46,15, ddl = 16, 1-p = 99,99%.
% de variance expliquée : 6,59%
Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique.
Attention, 12 (48.0%) cases ont un effectif théorique inférieur à 5, les règles du chi2 ne sont pas réellement applicables.
Le chi2 est calculé sur le tableau des citations (effectifs marginaux égaux à la somme des effectifs lignes/colonnes).
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 175 observations.
Ibid., Pourquoi un grand Liban ? Le rôle des grandes puissances et des diasporas libanaises, Hérodote, 1989, n° 53, P : 112.
De Caix, R., Dossier n° 31, du 15 au 31 Juillet 1920, ministère des Affaires étrangères à Paris, in Pourquoi un Grand Liban : Le rôle des grandes puissances et des diasporas libanaises, Morlin, E., Hérodote, 1989, n° 53, PP : 101- 117.
Ibid., Pourquoi un grand Liban, P : 114.
Ibid., Les éléments structuraux de la personnalité libanaise, P : 84.
Ibid., Les éléments structuraux de la personnalité libanaise, P : 32.