I.1.2- Synthèse des théories de l’identité sociale

Avant d’aborder la dimension collective et culturelle de l’identité, il est important de dire que la revue des travaux en psychologie sociale expérimentales déjà présentés, apporte une interprétation et une clarification à propos des relations de causalité. L’étude des relations intergroupales a permis, d’un côté, de saisir les stéréotypes, les préjugés, les représentations de soi et l’autre groupe (Shérif), d’autre côté, elle a permis de dégager les mécanismes de catégorisations (Tajfel, Turner), de différenciation catégorielle (Doise)…D’ailleurs, les théories de l’identité sociale ont montré l’aspect positif de la discrimination en expliquant qu’elle a une fonction cognitive pour comprendre et maîtriser l’environnement et simplifie la réalité.

En outre, les théories de l’identité sociale ont suscité plusieurs critiques relatives à la question de l’estime de soi, tels que ceux de Oakes et Turner (1980) 67 , Lemyre et smith (1985) 68 et Hogg et Abrams (1990) 69 , en confirmant deux hypothèses. La première : la discrimination dérive du besoin de valoriser sa propre identité sociale, la deuxième consiste à considéré la discrimination, étant une variable indépendante, un fait qui valorise l’identité et accroît l’estime de soi.

La théorie de l’identité sociale a produit des nouveaux modèles théoriques, par exemple, la théorie de cinq stades de Taylor et McKirnan (1984) 70 , ainsi que le modèle proposé par Hinkel et Brown (1990) 71 et (1992) 72 qui ont supposé que le recours à la comparaison pour valoriser son identité n’est pas une procédure générale, il concerne les groupes dont l’idéologie est comparative et de nature collectiviste. Ce qui a permis d’expliquer pourquoi, dans certaines recherches, l’identification avec l’endogroupe et la différenciation en sa faveur ne sont pas reliées. Il nous semble que les résultats de recherches de l’identité sociale « ont considérablement enrichi à la fois le domaine des perceptions intergroupes et celui des relations intergroupes» 73 … pourtant, la méthode expérimentale est restrictive puisqu’ elle rend le chercheur dépendant des conditions et des outils de l’expérience, et ne permet pas de deviner ce qu’il surgirait en situation réelle lorsque le contrôle des variables est impossible.

Nous remarquons Aussi que les groupes, qu’ils soient placés en situation de compétition ou en situation de travail en coprésence, ont un même statut social, ou plus exactement, qu’il n’y a pas de hiérarchie entre le rang social des groupes en présence. Nous considérons donc que « La thèse du paradigme du groupe minimal (PMG) gagnait sur le plan de la rigueur expérimentale mais sacrifiait beaucoup sur le plan du contexte social des groupes » 74 .

Ajoutons que l'explication de l’effet discriminatoire, fondée seulement sur les processus d’assimilation et de différenciation, est insuffisant car c’est deux processus cognitifs n’expliquent pas le caractère asymétrique de la distinction, qui est toujours favorable à l’endogroupe.

La théorie de l’identité sociale malgré qu’elle ait étudié l’estime de soi personnelle, elle n’a pas étudié l’estime de soi dépendant de l’appartenance catégorielle, autrement dit, malgré qu’elle a proposé l’ambition à une identité sociale et personnelle positive, elle ne présente point l’hypothèse que, si l’identité personnelle devient moins positive, la discrimination est la stratégie privilégiée pour récupérer ou accroître son estime de soi.

Dans ces théories, l’aspect représentationnel est abordé d’une façon floue et indéfinie. D’ailleurs, l’individu est toujours considéré comme individualité, en étudiant seulement, ce qu’il s’approprie, ce qu’il intériorise, comment il réagit dans une situation de compétition, et dans l’interaction d’entraide, mais les chercheurs n’ont pas expliqué comment se comporte-t-il en dehors des rôles sociaux assignés ? Ils n’ont pas étudié l’influence de la culture, les idéologies et l’histoire dans l’affirmation identitaire ?

Avant de terminer la conclusion, la question que nous posons est : Que peuvent apporter ces théories que l’on vient d’évoquer au domaine interculturel ?

En effet, ces théories offrent une compréhension plus exacte de certains « faits» sociaux  et psychosociaux que nous affrontons dans notre vie quotidienne, doté de plus en plus par la complexité, surtout avec la mondialisation. Ces phénomènes sont le fruit du contact culturel, tels que : la comparaison sociale, les stéréotypes, la discrimination sociale, l’exclusion, l’intégration…etc.

En réalité, il nous apparaît important de saisir, par exemple, les stéréotypes, les préjugés, les images négatives comme intrinsèques aux rapports intergroupes en général, c’est-à-dire, des mécanismes qui résultent à la fois de l’interaction sociale et de la structure, plutôt que de les expliquer comme une sorte de vice individuelle ou sociale, ou résultant de l’attitude à l’égard de tel ou tel groupe social.

Cette compréhension plus approfondie de ces faits amène à empêcher certaines erreurs pédagogiques commises par les praticiens des rencontres interculturelles, comme par exemple croire qu’il est estimé et « vertueux » de défendre les images négatives, ou qu’il est « humaniste » de proclamer l’égalité des différentes cultures. Autrement dit, de croire toutes ces attitudes sont capables véritablement de modifier les rapports interculturelles et les représentations mutuelles intergroupes.

Mais déchiffrer ces phénomènes est insuffisant, il faut déterminer l’attitude du praticien, « qui peut favoriser une évolution et une meilleure connaissance réciproque chez les participants de rencontres interculturelles » 75 .

En effet, il s’agit de prendre en considération les phénomènes de catégorisation différentielle, ensuite, d’en admettre et même d’en faciliter l’expression et la découverte chez les participants, enfin, d'entraîner ceux-ci à une prise de conscience des mécanismes en jeu. Ce fait d’accompagnement, de la part du praticien, « peut certainement favoriser davantage un éventuel dépassement des stéréotypes et des préjugés que leur ignorance, leur dénégation ou leur refoulement. On a vu aussi que le croisement des appartenances catégorielles contribuait à atténuer les mécanismes discriminateurs et donc à permettre une meilleure inter-compréhension » 76 interculturelle. Certes qu’il ne signifie pas l’empêchement des désaccords, ou bien l'éloignement des conflits ; un objectif commun contribue très bien à une réflexion. Ajoutons l’importance d’un objectif commun en situation de rencontre des divergences réelles existantes entre deux groupes différents culturellement et parfois il réalise un changement des cadres relationnels aussi bien que des mentalités. « Il est préférable de proposer aux participants un cadre d’action commun et de coopération reposant sur des motivations profondes (professionnelles, culturelles, scientifiques, existentielles, etc.) » 77 .

C’est pourquoi, nous considérons ces théories relatives à l’identité sociale ayant une apparence paradoxale mais complémentaire. Il leurs correspond ce qu’a dit E.M. Lipiansky en décrivant la psychologie sociale : « la découverte et la compréhension de l’altérité passe par la compréhension et le dépassement des mécanismes différenciateurs. Il faut peut-être s’accepter semblables pour pouvoir se reconnaître différents » 78 .

De cette revue des théories concernant la dimension psycho-sociale et culturelle de l’identité, l’approche interculturelle peut profiter pour comprendre pourquoi leurs comportements se diffèrent quand ils sont à l’endogroupe ou à l’exogroupe ? En d’autres termes, pourquoi la réaction et les conduites des individus dépendent de leurs situations relationnelles ? Cette dernière qui avec la notion de la ‘’différence culturelle’’ fait les axes fondamentaux sur lesquels se repose l’approche interculturelle.

Notes
67.

Oakes, P-J., Turner, J., Social categorization and intergroup bias: Does minimal intergroup discrimination make social identity more positive?, European journal of social psychology,1980, n° 10, PP : 295-301.

68.

Lemyre, L., Smith, P-M., Intergroup discrimination and sel f- esteemin the minimal group paradigm,Journal of personality and Social Psychology, 1985, n° 49, PP : 660-670.

69.

Hogg, M-A., Abrams, D., (1999), Social motivation, self-esteem and social identity; in Hogg and Abrams, social identity theory, London, Harvester- Wheatsheaf.

70.

Taylor,D-M., Mckirnan,D-J., A five-stage model for intergroup relations, British journal of Social Psychology,1984, n°23, PP : 291- 300.

71.

Hinkele, S., Brown, R-J., (1990), Intergroup comparaisons and social identity : Some links and lacunae, in Abrams et Hogg, Social identity theory, New York, Harvester-Wheatsheaf.

72.

Brown, R-J., Hinkle, S. et al., Recognising group diversity: Individualist and autonomous-relational social orientations and their implications for intergroup processus, British Journal of Social Psychology, 1992, n°31, PP : 327-342.

73.

Ibid., Perceptions et relations intergroupes, P : 349.

74.

Leyens, J-Ph., Bourhis, R-Y., (1999), Perceptions et relations intergroupes, in Stéréotypes, discrimination et relations intergroupes, Bruxelles, MARADAGA, P : 348.

75.

Ibid., La communication interculturelle, P : 208. 

76.

Ibid., La communication interculturelle, PP : 208-209.

77.

Ibid., La communication interculturelle, P : 209.

78.

Ibid., La communication interculturelle, P : 209.