C’est une notion d’origine gestaltiste, mais elle a réussi à affirmer son utilité dans la théorie des représentations sociales. L’ancrage est un processus concernant l’enracinement social de la ‘’représentation’ et de son ’’objet’’. Il complète le mécanisme de l’objectivation. Il le prolonge dans sa finalité d’intégration de la nouveauté, d’interprétation du réel et d’orientation des conduites et des rapports sociaux. Il traduit l’insertion sociale et l’appropriation d’une représentation par les individus. C’est par l’ancrage que les représentations trouvent leur place dans la société. A ce titre, l’ancrage incite à l’instrumentalisation de la connaissance et à l’utilité du savoir en octroyant une dimension fonctionnelle pour la compréhension et la gestion de l’environnement.
En continuité avec l’objectivation, l’ancrage sert à comprendre comment la représentation sociale intervient dans le contenu des rapports sociaux. En ce sens, l’ancrage apparaît comme une ’’expansion de l’objectivation’’, et comme ‘’guide de lecture’’ pour comprendre la réalité et agir sur elle afin de se familiariser avec ce qu’on ne connaît pas et qui parait ‘’étrange’’, et avec ce qui nous crée des problèmes dans le réseau de catégories qui nous sont propres et que nous considérons comme catégories familiales. Alors ce processus d’ancrage sera actualisé lors d’une confrontation avec l’inattendu, l’inexplicable ou l’étranger qui perturbe, parfois, le système existant. Dans ce cadre, la représentation sociale est un savoir marqué par la personnification des phénomènes sociaux, et la figuration de ses aspects ; elle est comme une passerelle entre ’’le social’’ et ‘’l’individuel’’, en un mot, elle est un recyclage du savoir du sens commun.
On peut dire que les représentations sociales se construisent à partir de processus conjoints d’élaboration et d’échange de connaissances communes, d’un côté, d’ancrage et d’objectivation, d’un autre côté, selon un scénario particulier d’enchaînement d’événements qui les président.
Pour Moscovici, les représentations sociales se présentent toujours sous deux faces : celle de l’image et celle de la signification qui se correspondent en constituant une forme particulière de la pensée symbolique et en positionnant les individus à l’égard de l’objet de la représentation.
La perspective dynamique adoptée par Moscovici rend la représentation sociale une notion carrefour qui renvoie aux mécanismes cognitifs, psychologiques, sociaux et culturels, dont l’objectif est de rendre compte de la façon dont les individus élaborent leur vision de la réalité commune, dans une culture donnée et en font usage afin de réaliser une meilleure adaptation à leur environnement.
Parmi les travaux explicitement référés à la théorie des représentations sociales, on trouve de nombreuses recherches descriptives visant à explorer la nature des représentations sociales d’un objet donné dans différents groupes sociaux. C’est, par exemple, les travaux de Denise Jodelet (1989) sur la représentation de la folie dans un milieu rural français, dont l’objectif était de fournir des validations empiriques des postulats initiaux de la théorie de Moscovici. Les résultats récoltés lui ont permit de constater que les représentations sont indirectement un système symbolique : « la représentation sous-tend un ordre symbolique qui reproduit au niveau individuel l’ordre duel établi au niveau de l’interaction sociale » 123 .
Dans un livre collectif rassemblant les participations de différents domaines (Anthropologie, sociologie, sciences du langage, psychologie), Denise Jodelet a définit la représentation sociale comme une sorte de connaissance courante, qui sert à construire une réalité commune : « c’est une forme de connaissance élaborée et partagée, ayant une visée pratique aidant à la construction d’une réalité commune a un ensemble social » 124 .
Dans une orientation conceptuelle qui prend en considération les rapports d’échanges et d’interaction au sein d’une « totalité signifiante » 125 où, les représentations sont à la fois le produit et le processus d’une élaboration psychologique et sociale du réel, Denise Jodelet attire l’attention sur l’importance de la dimension symbolique en étudiant les relations intra-individuelles et inter-individuelles ou situationnelles.
Pour l’auteur, la représentation sociale est une notion pertinente dans plusieurs domaines (l’anthropologie, la sociologie …) puisqu’elle permet d’aborder des faits sociaux globaux.
Au sein de la psychologie sociale, Jodelet, distingue trois champs de recherches : le premier concernant la diffusion des connaissances et la vulgarisation scientifique, le deuxième est expérimental dont la représentation sociale est une variable indépendante en étudiant la cognition des relations interpersonnelles, le troisième aborde les représentations en milieu réel par rapport à des objets socialement valorisés. Dans ce dernier champ de recherche, elle distingue trois abords : la présentation comme une forme d’expression sociale et culturelle, la représentation comme résultante d’une dynamique psychosociale, et enfin, la représentation en tant que forme de pensée sociale. Alors, une définition générale du concept s’impose. Jodelet considère que « le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir du sens commun, dont les contenus manifestent l’opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale » 126 . En poursuivant, les représentations sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéal. En tant que telles, elles représentent des caractères spécifiques au plan de l’organisation des contenus, des opérations mentales et de la logique. Le marquage social des contenus est à référer aux contextes dans lesquels apparaissent les représentations, aux communications par lesquelles elles circulent, aux fonctions qu’elles servent dans l’interaction avec le monde et les autres. Partant de cette optique, Jodelet 127 montre qu’il ne s’agit pas seulement de saisir les idées, notions, images, modèles, et les cadres catégoriels et classificatoires, mais aussi de prendre en compte les modalités collectives selon lesquelles les membres de la société ou d’un de ses groupes relient des éléments représentatifs dans leurs opérations de pensée et ce en étudiant les processus.
Ayant un rôle contribuant à circuler les représentations sociales, les relations sociales ont une importance dans la vie cognitive et sociale de l’individu en raison de l’éclairage qu’elles apportent sur les processus cognitifs d’une part et les interactions sociales d’autre part. L’auteur montre leurs multiples fonctions.
La première est celle de la constitution d’un savoir commun. C’est à dire élaborer une connaissance d’une façon collective, partagée au niveau de tout le groupe social afin que tous ses membres adoptent, voire établissent une réalité commune au niveau matériel, social, idéal.
La deuxième fonction est celle de l’orientation des conduites et l’organisation des communications sociales. La troisième fonction est la constitution et le renforcement de l’identité (individuelle, collective) à condition qu’elle soit généralement énoncée. Cette fonction identitaire des relations s’entend, elle, en termes de Cohésion groupale.
Etant une création collective, les relations permettent de définir et de distinguer le groupe qui les produit des autres. Elles lui donnent une identité (ainsi qu’aux acteurs sociaux qui en sont membres).
Quand à la quatrième fonction des relations ; la justification des comportements et des prises de position, elle permet à l’individu de se défendre, d’éclairer les causes et les raisons multiples qu’ils le poussent à prendre une certaine perspective, attitude au niveau abstrait, ou certains comportements a l’égard de l’objet de la représentation au niveau concret.
On pourrait constater que la réalité sociale n’existe qu’au sein de l’interaction entre individus et groupes a propos d’objets sociaux.
Ainsi, la relation est un phénomène cognitif reliant un sujet à un objet. Donc, la relation est toujours celle de quelque chose (l’objet) à quelqu’un (le sujet).
Elle a avec son objet un lien de symbolisation, elle lui confère des significations. Il ne s’agit pas seulement de saisir les cadres relationnels existant entre le sujet et l’objet, il s’agit aussi d’un processus cognitif, c'est-à-dire construire une forme de pensée sociale à la quelle obéissent les systèmes de représentations. En un mot, il s’agit d’étudier en général la logique du système de la pensée sociale. Puis l’auteur montre l’importance de la culture et de l’histoire de la collectivité pour obtenir les éléments représentatifs « l’agglutination et la sédimentation d’éléments représentatifs venus de la culture et de l’histoire du groupe et dont la trace reste à travers certains mots du langage, certains gestes repris des uns aux autres. Mots et gestes dont le sens ne se clarifie qu’à remonter dans la mémoire des plus anciens » 128 .
A côté de ces travaux de terrain du Jodelet, on voit se développer des approches expérimentales (Abric1970, Doise1973, Moliner 1995) afin d’examiner le rôle joué par les représentations dans l’interaction sociale.
Globalement, les auteurs intéressés par ces questions, montreront que les individus agissent conformément aux représentations qu’ils se font de certains aspects des situations dans lesquelles ils sont placés.
En se basant sur la théorie des représentations sociales élaborée par Moscovici, le travail de Jean-Claude Abric a apporté une contribution heuristique, relativement, importante à la compréhension et à l’interprétation des phénomènes relatifs au contenu de la représentation sociale. L’orientation que l’auteur a choisie, est d’étudier les rapports entre représentations et comportements d’une part, et représentations et pratiques sociales d’autre part. Ce faisant, il met en considération la dimension dynamique des représentations productrices des styles de comportements et des pratiques sociales convenables à la représentation de l’objet et de la situation globale dans laquelle s’inscrit l’individu.
Mais avant d’aborder comment l’acteur social constitue sa réalité en s’appropriant l’environnement, la question qui se pose est : comment Abricdéfinit la représentation, le comportement et la pratique sociale ?
D’après Abric, la représentation sociale est « le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique » 129 .
Par ailleurs, Abric considère que « la représentation n’est donc pas un simple reflet de la réalité, elle est une organisation signifiante. Et cette signification dépend à la fois de facteurs contraignants (« les circonstances dit Flament ») –nature et contraintes de la situation, contexte immédiat, finalité de la situation – et de facteurs plus généreux qui dépassent la situation elle-même : contexte sociale et idéologique, place de l’individu dans l’organisation sociale, histoire de l’individu et du groupe, enjeux sociaux » 130 .
De plus, durant sa démonstration sur l’intérêt d’étudier expérimentalement les représentations sociales, Abric remarque que « la représentation est…un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation. Elle détermine à la fois le sujet lui-même (son histoire, son vécu) par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce sujet social » 131 .
Cette définition de la notion de la représentation sociale implique une perspective nouvelle de la méthodologie expérimentale parce qu’elle met les facteurs cognitifs et symboliques au centre de l’axe expérimental; elle les a rendu un « centre d’intérêt » autour duquel s’organise tous les facteurs qui contribuent à composer une représentation sociale.
En outre, selon l’auteur, le comportement est une conduite, un acte de soi et des autres, directement lié aux représentations sociales élaborées dans une situation donnée, d’une part, et l’ensemble des éléments qui la constitue et ses significations, d’autre part : « Voici posé un premier objectif à l’étude expérimentale générale. Les comportements des sujets et des groupes ne sont pas déterminés par les caractéristiques objectives de la situation, mais par la représentation de cette situation » 132 . Ainsi, il considère que les comportements des acteurs sociaux ne sont pas le fruit de leurs croyances, de leurs représentations, ni même de leur système de valeurs mais plutôt du cadre institutionnel, de l’environnement social et plus précisément du contexte de pouvoir auquel ils sont confrontés et qui leur impose des conduites.
Dans son livre ‘’ pratiques sociales et représentations’’, Jean-Claude Abric définit les pratiques sociales comme « des systèmes d’action socialement structurés et institués en relation avec des rôles ». 133 Elles sont capables de modeler et déterminer le système représentationnel et l’idéologie des individus « ce sont les pratiques que les sujets acceptent de réaliser dans leur existence quotidienne qui modèlent, déterminent, leur système de représentation ou leur idéologie » 134 .
Alors, la représentation sociale est un processus cognitif qui nous permet de structurer significativement le réel là ou se découle nos comportements et nos pratiques sociales. Elle est déterminée par des facteurs personnels, sociaux, idéologiques, relationnels abstraits (mentaux) et concrets (vécus).
En dépit de sa nature abstraite (mentale), la représentation sociale ne s’isole pas de la dimension concrète : vécu et comportement du sujet, au contraire, elle est l’anticipatrice des types de conduites, ce qui lui a donnée un rôle de préparation psychosociale à l’égard des réactions et des comportements des autres « la représentation sociale précède l’action…et un système de pré décodage de la réalité, car elle détermine un ensemble d’anticipations et d’attentes » 135 . D’ailleurs, elle a des fonctions multiples :
1-Fonctions de savoir : elles permettent de comprendre et d’expliquer la réalité.
2-Fonctions identitaires : elles définissent l’identité et permettent la sauvegarde de la spécificité des groupes.
3-Fonctions d’orientations : elles guident les comportements et les pratiques.
4-Fonctions justificatrices : elles permettent à posteriori de justifier les prises de positions et les comportements.
Emprunté de la physique atomique, Abric a présenté un modèle théorique structural des représentations sociales qui permet de concevoir chaque représentation comme une molécule possédant un noyau central et des atomes (schèmes périphériques) gravitant autour du noyau.La problématique de sa théorie du ’’ noyau central’’ s’articule autour d’une hypothèse générale : « toute représentation est organisée autour d’un noyau central, constitué d’un ou de quelques éléments qui donnent à la représentation sa signification » 136 .
Ce noyau central est l’élément fondamental de la représentation, car c’est lui qui détermine à la fois sa signification et son organisation selon une structure bien précise, ce qui peut être formulé comme une modalité particulière et spécifique de la représentation sociale.
L’idée de noyau, ressemble à celle de centralité, on la retrouve dans les travaux de Serge Moscovici en 1961, quand il a étudié les représentations sociales de la psychanalyse. Mais malgré qu’il a fait appel à la notion du noyau figuratif ou imageant que Moscovici aborde à propos du mécanisme d’objectivation, Abric a développé l’exposé en dépassant le rôle génétique de ce noyau, et le simple cadre qui entoure l’objet représenté afin de montrer qu’il peut d’une certaine manière, trouver directement son origine dans un système de valeurs qui le dépasse et qui n’exige ni aspects figuratifs, ni schématisation, ni même concrétisation. D’où la nouveauté de son travail.
Bref, le noyau central est un sous-ensemble de la représentation composé d’un ou de quelques éléments dont l’absence d’un seul déstructurerait ou donnerait une signification radicalement différente à la représentation dans son ensemble. Il est simple, concret, imagé et cohérent, il convient aux valeurs qu’adoptent les individus et à leur culture.
Ce noyau est un système structurant qui a un rôle qui assure deux fonctions, (l’une organisatrice, l’autre génératrice) et qui assure la stabilité de la représentation sociale et empêche son changement. La première est la source de créer ou de transformer la signification des autres éléments qui constituent la représentation sociale et qui portent un sens ou une valeur à cause de lui. La deuxième rend le noyau central l’élément unificateur et stabilisateur de la représentation.
Par ailleurs, le noyau central constitue l’élément le plus stable de la représentation sociale, c’est lui qui en assure la solidité et la rigidité dans des contextes mouvants et évolutifs. Donc, il est l’élément le plus résistant au changement.
En effet, toute modification du noyau central entraîne une transformation complète de la représentation sociale. Si on a deux noyaux centraux différents, cela implique qu’on a deux représentations différentes même si elles ont le même contenu. Ce qui est essentiel dans le jeu de la représentation sociale c’est l’organisation de ce contenu : « deux représentations définies par un même contenu peuvent être radicalement différentes si l’organisation de ce contenu, et donc la centralité de certains éléments, est différente » 137 .
Ce système central est entouré d’un système périphérique qui lui est dépendant. Il est la partie la plus accessible aux changements et aux influences extérieures et les situations diverses que confronte l’individu. Donc c’est un système plus flexible que le système structurant.
Les éléments du système périphérique constituent l’essentiel du contenu de la représentation, c’est pourquoi ils ne sont pas moins importants que ceux du noyau central, mais ils forment la partie la plus vivante et la plus concrète de la représentation sociale. Nous devons plutôt les qualifier de schèmes de concrétisation ou d’illustration de la représentation, du fait de leur diversité et de leur flexibilité, présentes en plus grand nombre dans les discours.
Alors, les éléments du système périphérique constituent en effet l’interface entre le noyau central et la situation concrète dans laquelle s’élabore ou fonctionne la représentation. Ces éléments répondent à trois fonctions essentielles :
Cette imperméabilité résultante du mouvement de va et viens des éléments constitutifs du système périphérique joue un rôle essentiel dans l’adaptation de la représentation aux évaluations du contexte. Ces éléments peuvent alors être intégrés dans la périphérie de la représentation, telle ou telle information nouvelle, telle ou telle transformation de l’environnement.
Bref, le système périphérique constitue l’aspect mouvant et évolutif de la représentation. Par ses mécanismes dynamiques, une représentation peut s’adapter aux évolutions du contexte, de l’actualité sans changer fondamentalement.
Changement de pondération, interprétation nouvelle, déformation fonctionnelle défensive, intégration conditionnelle d’éléments contradictoires, ce sont les mécanismes du système périphérique ayant comme finalité d’absorber l’injustifiable, le nouveau sans souci pour le système sociocognitif, ainsi le maintien de tout ce qui est négociable ou inconditionnel, pour l’acteur, dans les éléments du noyau central.
Malgré que les représentations sociales composées de deux systèmes (système structurant et système périphérique) elles fonctionnent bien comme une seule entité où chaque partie a un rôle spécifique mais complémentaire de l’autre. Leur organisation, hiérarchisation est régie par un double système : le système central et celui périphérique.Signalons que la détermination le système central est essentiellement sociale, associée aux conditions historiques, sociologiques et idéologiques de l’individu.
En fait, le système central est directement lié au facteur social. Il est dépendant des valeurs, normes, traditions…qui dominent dans la société. Il définit les principes organisateurs fondamentaux autour desquelles se composent les représentations sociales. C’est la base commune proprement collective qui explique l’homogénéité d’un groupe à travers des comportements individualisés qui peuvent apparaître comme contradictoires.
Ainsi, ce système joue un rôle primordial et essentiel dans la stabilité et la cohérence de la représentation sociale, il en a assure la solidité, la rigidité, le maintien dans le temps, et l’on croit dès lors qu’il évolue lentement sauf dans des conditions et circonstances exceptionnelles.
Concernant le système périphérique, il n’est pas un élément mineur de la représentation, car il est associé au système central et il en permet l’ancrage dans la réalité. Ce système périphérique permet une adaptation, une différenciation en fonction du vécu, une intégration de multiples expériences quotidiennes. Il permet des transformations, changements et modulations individuelles vis-à-vis d’un noyau central commun, générant des représentations sociales individualisées.
Beaucoup plus flexible et accommodant que le système central, le système périphérique le protège en quelque sorte en lui permettant des pratiques différenciées. Il légitime l’acceptation de certaine hétérogénéité dans le système de représentation. Pourtant on comprend aussi que l’hétérogénéité du système périphérique ne puisse témoigner de l’existence de représentations différenciées.
En effet, c’est l’existence de cette structure à double système qui permet de comprendre le caractère ‘’contradictoire’’ de la représentation sociale. Elle est à la fois stable et mouvante, rigide et souple, consensuelle et différentielle.
Enfin, étant une entité paradoxale dans sa structure, la représentation sociale, nous permet de comprendre, expliquer et interpréter le comportement individuel et collectif dans ses différentes dimensions : sociocognitive, affective…elle devient alors un indicateur important pour l’homogénéité d’un groupe d’individus. A ce propos Abric dit « pour nous l’homogénéité d’une population n’est pas définie par le consensus entre ses membres, mais bien par le fait que leur représentation s’organise autour du même noyau central » 138 .
Ainsi, la représentation sociale est une entité constituée de deux systèmes paradoxaux mais en même temps complémentaires qui possèdent - à un certain degré - une autonomie structurelle lui permettant de produire une connaissance du sens commun et certaines pratiques sociales: comportements ou prise de position à l’égard d’un phénomène déterminé…
Concernant l’interaction existant entre les représentations sociales, on peut dire qu’il y a plusieurs types de relations : des rapports englobants, c’est-à-dire, certaines représentations moins englobantes s’incluraient dans les représentations plus englobantes (le type de ce genre de relation est au modèle des poupées russes). Il existerait également d’autres types de rapport, de conjugaison, de synthèse, voir d’exclusion (une représentation chassant l’autre pour des raisons d’incompatibilité ou de substitution). Ces rapports sont fonctionnellement complémentaires et dialectiques.
Dans son ouvrage « l’explication en psychologie sociale », willem Doise exprime son malaise face aux résultats obtenus par l’approche expérimentale. Il établit la différence entre quatre niveaux d’analyse en psychologie sociale : le niveau intra- individuel, le niveau inter- individuel et situationnel, le niveau positionnel et le niveau idéologique. Il souligne l’importance de s’intéresser au niveau positionnel et idéologique pour la psychologie expérimentale, autrement dit, il préfère de prendre en considération l’articulation du psychologique et du sociologique, c’est pourquoi il revendique « d’introduire dans les modèles explicatifs des variables préexistants à la situation expérimentale telle que : rapport de domination et de pouvoir entre catégories sociales ou conceptions idéologiques des sujets » 139 .
Pour lui, la représentation sociale est une entité à une double composante psychologique et sociologique ; pour cela Doise la considère une notion clef pour la psychologie sociale.
En appuyant sur l’étude de Moscovici ‘’les représentations sociales de la psychanalyse’’, Doise pense que la communication est un moyen qui véhicule et façonne les représentations sociales, elle a une fonction très importante : la régulation des rapports sociaux entre les individus, spécialement dans le cas de la propagande dont les rapports sont généralement antagonistes. D’où, il propose sa théorie des principes organisateurs.
D’après lui, les représentations sociales considérées comme des principes organisateurs de prise de position qui sont liés à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapport sociaux et organisant les processus symboliques intervenant dans ces rapports » 140 .
L’approche que propose l’auteur est multidimensionnelle car, d’après lui, il est impossible « d’éliminer de la notion de représentation sociale les références aux multiples processus individuels, intergroupe et idéologiques qui souvent entrent en résonance les uns avec les autres et dont les dynamiques d’ensemble aboutissent à ces réalités vivantes que sont en dernière instance les représentations sociales » 141 .
Donc, pour comprendre et analyser une représentation sociale, il faut prendre en considération trois dimensions:
Cette jointure entre dynamiques sociales et dynamiques cognitives individuelles renvoie à l’idée de la double composante des représentations sociales(psychologique et sociale) qu’implique l’existence d’un métasystème sociale et que les dynamiques résultantes de ce métasystème capables de modifier sans cesse les fonctionnements cognitifs individuels « les interventions du sociale dans cognitif peuvent nécessiter de nouveaux fonctionnements et progrès cognitifs tout comme elles peuvent se suffire de processus cognitifs déjà bien rodés » 143 .
Pour comprendre l’approche multidimensionnelle ou tridimensionnelle de la théorie des principes organisateurs, Doise a essayé d’épurer les processus d’objectivation et d’ancrage tels que les formules Moscovici en 1961, en leur affectant un sens spécifique, qui puisse s’adapter à l’approche tridimensionnelle qu’il propose.
Comme Moscovici, l’auteur considère l’objectivation un processus qui rend concret ce qui est abstrait ; mais il souligne l’importance des liens existants entre le concret et
l’abstrait en étudiant les représentations sociales « l’étude d’opinions, d’attitudes, de stéréotypes…ne peut devenir une étude des représentations sociales que dans la mesure où elle relie des réalités symboliquesà la réalité complexe et changeante des rapports sociaux » 144 .
Pour Doise l’objectivation a un rôle important qui consiste à détacher les représentations sociales de leur ancrage dans la réalité sociale tout comme il « les sépare du cadre idéologique ou scientifique qui pourrait leur donner une signification plus générale » 145 .
Ainsi, nous constatons que le renouement des liens existants entre les réalités symboliques, d’un côté, et la réalité sociale quotidienne, d’autre côté, dans un système conceptuel cohérent et commun est la tâche la plus importante à l’étude des représentations sociales. Pour cela, l’auteur pense qu’il est nécessaire de rechercher les savoirs, les croyances et les symboles communs puisque les acteurs sociaux sont intégrés dans une structure sociale et représentationnelle commune, « si les individus s’insèrent dans une structure représentationnelle commune cela peut tout simplement signifier qu’ils se réfèrent aux mêmes systèmes de significations institutionnalisés » 146 .
Donc, l’objectivation a une dimension sociale. Doise se réfère aux travaux de Bourdieu (1979) pour développer l’idée que l’objectivation est aussi, pour l’individu une participation à la dynamique du champ social. La connaissance que l’on obtient passe nécessairement au ‘’passoire’’ des organismes et institutions sociales, des divisions du champ social que l’acteur social intègre et reconnaît. Connaître, donc, renvoie à une façon de reproduire la société, ses divisions, ses hiérarchies ou oppositions et de s’y positionner.
L’auteur pense qu’il faut mettre en évidence les principes organisateurs concernant les connaissances obtenues, en utilisant des techniques de factorisations telle que les analyses factorielles, ce qui exige la recherche afin de savoir si les connaissances s’organisent, se regroupent, en « facteurs » ou blocs cohérents par le sens, par la thématique, ou par un aspect donné d’un fait social, et corrélativement, si ces blocs sont distincts les uns des autres, parfois, s’opposent entre eux.
Bref, les progrès dans l’approche des représentations sociales nécessitent, selon Doise, l’étude et l’analyse des rapports existants entre le système de chaque représentation, d’une part, et du métasystème, d’autre part.
A la lignée de Moscovici, Doise pense que le processus d’ancrage occupe la place fondamentale dans la formation d’une représentation sociale. Il le préside en donnant une utilité réelle et une efficacité concrète au noyau figuratif crée dans le mouvement d’objectivation. Grâce à lui, l’objet de la représentation peut s’intégrer dans le système de valeurs du sujet, en comparant les nouvelles informations à celles familières que le sujet possède déjà, et qui sont facilement accessibles en mémoire.
L’objet nouveau de la représentation, se trouve appartenir à l’une des catégories existantes, en approuvant quelques adaptations indispensables. A ce propos, Doise croit que l’ancrage « …permet d’incorporer quelque chose qui ne nous est pas familier et qui nous crée des problèmes dans le réseau de catégories qui nous sont propres et nous permet de le confronter avec ce que nous considérons un composant, ou membre typique d’une catégorie familière » 147 .
En accommodant l’ancrage avec sa théorie tridimensionnelle, l’auteur pense que l’intervention de ce processus se traduit par trois réalités distinctes constituant les trois dimensions de l’ancrage. D’abord l’ancrage est psychologique quand il s’agit d’aborder « l’organisation de variation au niveau individuel ou interindividuel» 148 .
Puis l’ancrage est sociologique, c’est quand il s’agit de dégager les changements d’aspects qui relèvent de la position des groupes sociaux dans le milieu social (positions qu’ils s’occupent au sein de l’interaction social tels que ceux de classe, de statut social, de dominance, etc.).
Enfin, l’ancrage est psychosociologique : c’est au moment où on recherche des variations entre groupes restreints, groupes qui « détermine la manière dont les individus se situent symboliquement à l’égard de rapports de nature plus personnelle » 149 .
D’après les processus d’objectivation et d’ancrage, la représentation sociale est la domestication de l’étrange, elle permet d’incorporer quelque chose qui ne nous est pas familier.
En plus, la représentation sociale a une fonction interprétative, « elle devient à la, à la limite un système d’interprétation s’étendant à d’autres systèmes conceptuels ; elle fournit des systèmes de classifications et des typologies des personnes et d’événements » 150 .
A côté de sa fonction explicative, la représentation sociale a une fonction sociale ; elle sert de classer sur la base des catégories et des significations plus ou moins concernant les personnes et les événements, ce qui pousse les individus de la société à prendre une position en choisissant des principes organisateurs convenables à leurs attitudes.
Par ailleurs, Doise considère l’idéologie un domaine vaste et problématique. Dans ce domaine, la représentation sociale se rapporte à ce qui est palpable, concret et immédiatement saisissable qu’à leur influence sur le comportement.
En comparent l’idéologie et la représentation sociale, Doise considère qu’elles sont opposées l’une à l’autre. Pour lui, « une idéologie vit par la force du système conceptuel quasi-logique qui le soutient » 151 , d’une part, et par l’existence d’un « appareil qui la défend et en sauvegarder l’orthodoxie » 152 d’autre part. Pourtant la représentation sociale n’a pas une structure systématique ni un appareil de défense, pour cela, elle apparaît comme composée de blocs notionnels divers reliés entre eux de multiples manières différentes. D’où le mondede la représentation est instable, diffus, mobile et toujours en changement tandis que « le monde de l’idéologie est un monde plus stable, réifié » 153 .
Ainsi, les représentations sociales font un objet complet et effectif d’une discipline scientifique (la psychologie sociale) et « apparaissent avec une consistance qui leur est propre, comme des produits de l’action et de la communication humaines…constituent une partie non négligeable de l’univers individuel de chacun » 154 , alors que pour l’auteur, l’idéologie est au contraire « un phénomène social trop vaste…et trop chargé de significations déjà élaborées pour pouvoir être l’objet d’étude de la seule psychologie sociale » 155 .
La recherche de Pascal Moliner est la première recherche expérimentale visant à étudier les processus qui entraînent la transformation d’une représentation. Il a essayé d’analyser, d’expliquer la dynamique de l’évolution et du changement d’une représentation : en effet c’est la mise en cause d’un élément du noyau central qui est indispensable à la transformation de la représentation. L’auteur a proposé une nouvelle approche en considérant la représentation comme une grille de lecture permettant de mettre en relation un certain nombre de symboles.
Comme Moscovici, Moliner considère la représentation sociale comme un mode spécifique de connaissance issu du réel quotidien et se distingue d’autres types du savoir, par exemple, du savoir scientifique. La représentation sociale est un reflet du réel « elle suppose en premier lieu la possibilité de reproduire certains aspects du réel » 156 .
Partant de ce qu’a suggéré Moscovici en comparant la représentation sociale à une théorie naïve du réel, Moliner pense que sa définition explicite la double caractéristique attribuée aux représentations sociales : processus et contenu. Selon Moscovici, la représentation sociale explicite le contenu puisqu’elle est constituée de concepts, d’opinions, et de descriptions de pratiques. Moliner considère que ces éléments constitutifs peuvent être regroupés sous le terme générique de schèmes, alors que le processus pouvant se résumer à un phénomène d’interprétation du réel.
Pour Moliner, ces idées émises à propos de la représentation sociale, trouvent leur synthèse dans la notion de grille de lecture qui présente des avantages théoriques et méthodologiques. En essayant de la définir, il dit « une grille de lecture c’est avant tout un ensemble d’informations de connaissances qui permettent de mettre en relations un certain nombre de symboles. Il s’agit donc bien d’un contenu de savoir…la grille de lecture est un outil qui réalise un DECOUPAGE de l’information initiale. Certaines composantes de cette information sont sélectionnées, d’autres sont négligées » 157 .
Le phénomène représentationnel va se situer au sein de l’interaction sociale puisqu’elle médiatise le rapport des individus à l’objet, elle va organiser et réguler les interactions surgissant par cet objet qui présente une valeur d’enjeu pour les divers groupes qui composent la société.
Cette régulation intervient à différents niveaux de l’interaction sociale. D’un côté, elle influence les rapports qui vont se nouer entre le groupe et l’objet social, d’autre côté, elle va préciser les liens que le groupe pourra tisser avec d’autres groupes également concernés par l’objet de représentation.
Concernant les relations du groupe à l’objet, Moliner croit que le groupe essaie de s’approprier l’objet de représentation afin de le maîtriser et le rendre plus familier, c’est pourquoi le groupe social va intégrer cet objet dans les catégories d’un savoir préexistant. Mais ce processus a deux conséquences, la première est que l’objet de représentation se trouve chargé de significations spécifiques issues des catégories dans lesquelles les individus l’ont inséré. La seconde conséquence est que la représentation se voit, dès sa genèse, dotée d’une instrumentalité particulière, autrement dit, la représentation est un instrument de compréhension de l’environnement social de cet objet « en inscrivant, dès son origine, la représentation dans un réseau de significations spécifiques, orientant par là même son instrumentalité, le processus d’ancrage va donc déterminer les relations du groupes à l’objet » 158 .
Selon l’auteur, les représentations ont un rôle de régulateur qui s’explique dans la double fonction d’homogénéisation et de spécification que réalise la représentation dans le groupe. Comme Abric, il considère qu’elles ont une fonction identitaire.
Le processus collectif d’élaboration des représentations suppose un renforcement de la cohésion des groupes « partager avec d’autres une représentation commune, c’est en partie admettre que l’on est semblable » 159 .
D’autre part, en fournissant la compréhension spécifique du groupe à l’objet, la représentation va différencier le groupe qui l’a élaborée « ayant développé sa propre interprétation de la réalité sociale, ce groupe va se distinguer des autres » 160 .
Ainsi, en fournissant aux groupes des interprétations spécifiques de la réalité sociale, la représentation détermine et organise les interactions entre les groupes sociaux.
Pour l’auteur, la représentation sociale nous apparaît comme « des ensembles d’opinions, d’informations et de croyances associées à un objet donné » 161 .
En temps ordinaire et dans une population homogène, la représentation est relativement stable et n’évolue que très lentement, mais cela n’empêche pas qu’elle peut nous apparaître dans un état de transformation totale. Elle se construit à partir de processus conjoints d’élaboration et d’échange de connaissance, elle est comme des formes du « savoir naïf » et l’expression d’une certaine forme de liberté.
Moliner pense que les représentations sociales vont se construire à partir de processus de catégorisation d’objets et de personnes, d’assignation, d’inférence et d’attribution causale, etc. Il s’agit de processus socio-cognitifs, leurs caractéristiques résident dans le fait qu’ils opèrent sur des matériaux socialement investis (ce qui nous concerne et ce qui concerne à autrui) et qu’ils ont eux-mêmes socialement déterminé.
Aussi, l’auteur considère que, par nature, les processus socio-cognitifs aboutissent donc à la construction de connaissances largement partagées. Et dans le cas de l’élaboration des représentations sociales, le facteur de convergence se trouve renforcé par les processus d’ancrage et d’objectivation.
Selon Moliner, l’ancrage est le processus par lequel la représentation s’accroche dans la société. Dans cette opération, les connaissances maîtrisées d’un domaine vont guider le travail cognitif dans l’autre. D’autre côté, les savoirs ainsi produits vont être instrumentalisés par les groupes sociaux en leur permettant de légitimer leurs positions ou d’atteindre leurs objectifs. Donc, la finalité du processus d’ancrage est double.
A propos de l’objectivation, en adoptant la définition de Moscovici, l’auteur remarque, qu’on passe d’un savoir distancié de son objet, de type scientifique, à un savoir basé sur l’expérience de l’objet. C’est pourquoi la différence peut exister entre « le monde et ses objets », et sa représentation que nous en avons. Les inconvénients de l’objectivation, c’est l’inscription illusoire dans le réel d’une construction intellectuelle. Ainsi, l’objectivation se place en aval des processus socio-cognitifs. C’est un formatage de connaissances.
Le phénomène de représentation sociale se base sur l’apparition d’un processus global de communication collective, pouvant s’exprimer sous plusieurs formes :
1- Les communications interpersonnelles : Elles se caractérisent par trois caractères importants : ce sont des échanges essentiellement verbaux, et informels, qui ne laissent d’autres traces que celles qui s’inscrivent dans les mémoires. Ce sont des échanges qui se déroulent dans des contextes de sociabilité. Ce sont, enfin, des échanges en « temps réel » dont les individus peuvent immédiatement percevoir les effets.
2-Le débat public : Il ne s’agit pas ici de conversations à plusieurs, mais plutôt d’un échange qui va se dérouler devant une assistance non directement participante.
La caractéristique essentielle du débat public réside dans l’abolition du contexte consensuel de la communication. Ici, il s’agit plutôt de marquer ses positions, de se distinguer en s’affrontant. Le plus souvent, le débat public est contradictoire. Il va donc figer des positions. Ainsi, il permet aux groupes d’identifier leurs spécificités. Pour Moliner, avec la presse et toute source médiatique, on découvre une forme de communication collective qui peut avoir un impact considérable sur la formation des représentations sociales.
3-Les communications culturelles : C’est la dernière forme de communication collective. On y trouve dans la production littéraire et cinématographique, le théâtre mais aussi la chanson, la bande dessinée et la publicité. Il est banal, selon Moliner, de considérer les communications culturelles comme un simple reflet de ce qui circule dans la société.
En général, l’objet de la fiction est un objet socialement saillant. Le problème n’est pas tant de savoir pourquoi on en parle mais plutôt comment en parle-t-on ?
Pour l’auteur, afin que l’œuvre de fiction soit accessible au public, il est nécessaire de respecter certaines conventions, « concrètement cela signifie qu’il est nécessaire de tenir compte des valeurs, des jugements préalables, des croyances et des attentes du public… » 162 .
Moliner poursuit que les représentations sociales avant la théorie du noyau central n’avaient de structure que le nom. En développant une idée proposée par Flament 1994, l’auteur est d’accord avec lui qu’une représentation est d’abord constituée de cognitions relatives à un objet. Ces cognitions présentent deux caractéristiques essentielles : ce sont, d’une part, des cognitions élémentaires, d’autre part, elles s’organisent, par ailleurs, en structures cognitives complexes permettant les activités de catégorisations, d’interprétation et d’évaluation.
Pour l’auteur, les éléments de la représentation sont :
a- Les cognitions : L’auteur pense que le sujet joue un rôle actif dans cette acquisition de connaissances. Ces connaissances proviennent de trois sources : les expériences et les observations du sujet (j’ai vécu, j’ai fait), les communications auxquelles il s’est exposé (j’ai entendu, on m’a dit) et les croyances qu’il a lui-même élaborées (je pense, je crois).
b-Les structures cognitives : Moliner considère qu’envisager les représentations comme des modes d’interprétation du réel, c’est leur faire jouer un rôle dans l’organisation des masses d’informations auxquelles nous sommes tous soumis.
En fait, l’auteur distingue trois grandes familles :
*Les stéréotypes : pour l’auteur, les stéréotypes ne sont pas une simple collection de traits descriptifs. Ils guident la perception des individus car ils proposent un véritable portrait schématique des personnes auxquelles il s’applique. En ce sens, Moliner croit que « c’est bien une structure cognitive car il met en relation plusieurs cognitions élémentaires et il permet à chacun de tirer des conclusions de cette mise en relation. » 163 .
*Les catégories et les prototypes : La catégorie se définit, en premier lieu, comme un ensemble de cognitions élémentaires relatives à un groupe d’objets. Pour l’auteur, il s’agit bien, là encore, d’une structure cognitive qui permet d’analyser l’information.
Au contraire de la notion de stéréotype, qui suppose une uniformité des membres d’une même catégorie (par exemple les Noirs sont superstitieux) la notion de prototype implique une différenciation.
*Les scripts : Moliner les définit comme étant « une séquence cohérente d’événements attendus par l’individu et l’impliquant lui-même comme participant ou comme observateur » 164 . Cette fonction prescriptive peut, selon, Moliner, s’expliquer par la mise en œuvre de structures cognitives spécifiques permettant aux individus d’adopter telle conduite dans telle situation.
Les scripts se présentent donc, comme une organisation particulière (une succession chronologique) de cognitions élémentaires (des événements ponctuels).
Stéréotypes, catégories, et scripts on pourra les rencontrer dans une représentation sociale. Ils seront alors déterminés par cette représentation parce qu’ils seront élaborés à partir de cognitions élémentaires qui, sont elles-mêmes, le résultat du processus représentationnel.
Toutefois, dans certains cas, ces structures cognitives sont indépendantes de toute représentation sociale.
Pour Pascal Moliner, le noyau central « est constitué des notions abstraites qui sont les principes descriptifs de l’objet de représentation » 165 . L’émergence de ces principes dans une structure cohérente permet de faire surgir un modèle explicatif.
Chacun des éléments centraux entretient une relation d’implication avec ou plusieurs schèmes périphériques. Cependant, les éléments périphériques sont envisagés comme schèmes. D’après Moliner, « Ce concept permet […] de préciser le rôle de chacun des éléments de la représentation et de proposer un schéma théorique » 166 .
Pour lui, quelque soit le mot utilisé ‘’script ‘’, ‘’schéma’’ ou ‘’schème ‘’, il s’agit d’envisager des ensembles organisés d’informations qui vont décrire une situation.
Concernant le choix d’un schème, l’auteur pense qu’il « est imposé par le noyau de la structure qui joue alors le rôle de ‘’méta-règle ‘’» 167 .
Ce rôle de méta-règle du noyau central est essentiel pour l’auteur car il considère ses éléments comme des principes qui sous tendent l’action de l’individu, « même si ces principes ne sont pas clairement perçu par l’individu lui-même » 168 .
Les divers schèmes périphériques se combinent en sous-ensembles selon l’élément central dont ils dépendent. Donc, la cohérence devient la règle et le principe.
Pour identifier les éléments centraux, Moliner a évoqué – corrélativement - à la stabilité des éléments constitutifs du noyau central, le fait que leur suppression ou leur disparition déstabilise ou, parfois, modifie la représentation de l’objet.
Pour l’auteur, si on élimine expérimentalement les éléments indispensables pour définir la représentation et sa particularité, le sujet ne devrait plus considérer l’objet sous le même angle, c’est-à-dire il ne pourra plus faire correspondre sa propre représentation de l’objet avec celle que lui présentera l’expérimentateur (le plus souvent une représentation sans un seul élément central). Donc le sujet ne reconnaîtra plus l’objet comme ‘’objet de représentation’’.
Pour parvenir à ces buts, Moliner propose deux techniques : la technique de mise en cause et l’induction par scénario ambigu.
1°-La technique de mise en cause (MEC)
Comme son nom l’indique, cette technique prend son origine dans un principe de réfutation.
Opérationnellement, cette technique est simple. D’abord, on réalise une pré-enquête pour sélectionner les éléments qui forment la représentation de l’objet déterminé. Puis, à l’aide de ces éléments on construit un petit texte qui permet d’identifier clairement l’objet de représentation, texte que l’on soumet pour lecture aux objets. Sachant que les éléments centraux, donnant un sens de la représentation, ne sont pas négociables, du fait de leur relation directe avec l’objet.
Ensuite, on mettra en cause (selon un principe de réfutation) certains de ces éléments centraux de manière à rompre le lien entre le champ de la représentation et son objet.
A la fin du texte, on ajoute de nouveau, une réfutation de l’un des éléments isolés lors de pré -enquête (ce qui revient à le mettre en cause).
Les sujets lisent le nouveau texte et doivent dire, si compte tenu de cette information, il s’agit toujours pour eux de l’objet de représentation en question. C’est-à-dire si sa représentation de l’objet a changé ou non pour savoir s’il maintient sa grille de lecture. Si la réponse est ’’oui‘’, ça signifie que l’élément mis en cause est peu important pour caractériser la représentation de l’objet ; il est donc considéré comme périphérique. Mais, si la réponse est ‘’non’’, les sujets ne reconnaissent plus l’objet de la représentation ; l’élément appartient donc au système central.
Ainsi, suivant la reconnaissance de l’objet, on dresse la différenciation structurale entre centralité et périphérie.
2°- L’induction par scénario ambigu
Cette technique repose sur le même cadre théorique que la mise en cause. L’induction par scénario ambigu suppose de faire d’abord un pré enquête informative, puis la construction d’un texte. En réalité, un scénario reposant sur la description ambiguë d’un objet de représentation.
Ambiguïté dans le sens où l’objet décrit peut être indifféremment présentée par le chercheur comme étant où n’étant pas l’objet de représentation. Donc, on utilise un objet de représentation, volontairement mal défini par le chercheur.
La reconstruction de ce scénario doit respecter deux règles :
Lorsque les individus se trouvent face à des informations contredisant les éléments centraux d’une représentation donnée, deux cas de figures se présentent : soit il y a éclatement de la représentation, soit les sujets rejettent, non les informations qui leurs sont données, mais l’objet de représentation qu’elle contredit.
Si l’individu est capable de rattacher l’objet mal défini à sa propre représentation d’un objet, il « va appuyer son discours sur la représentation qu’il se fait de l’objet plus que sur la perception qu’il en a » 169 , par conséquent, si l’on demande à des individus « d’énoncer les propriétés d’un objet mal défini que l’on aura explicitement rapproché d’un objet de représentation précis, on obtiendra les caractéristiques de cet objet tel qu’il est appréhendé à travers le filtre de la représentation. Par un classique processus d’inférence, les sujets vont prêter à l’objet mal défini des caractéristiques qu’il n’a pas objectivement » 170 . En comparant les cas où l’objet est défini par les individus comme objet de représentation avec les cas où il ne l’est pas, on va découvrir les caractéristiques centrales de la représentation de cet objet.
Cette méthode employée par Moliner, permet au chercheur une identification quasi certaine de la structure centrale d’une représentation, tel n’était pas le cas avec les autres méthodes.
L’évolution des représentations sociales est un thème qui n’a pas échappé à Moliner. Puisque les sociétés, les technologies, même les environnements physiques évoluent, il est évident que la Représentation sociale se transforme graduellement et continuellement en leur pertinence, leur opérationnalité et leur utilité sociale.
Partant de la définition d’Abric de la représentation sociale, « un ensemble organisé hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet » 171 , Moliner pense que son évolution est nécessaire. Cette évolution s’effectue d’habitude lentement sauf dans certains cas exceptionnels comme les crises, les révolutions…elle s’effectue d’une façon aussi profonde que brutale. C’est donc en général un processus d’ajustement progressif calqué sur le rythme des évolutions de la société.
Pour l’auteur, on doit d’abord discerner que «l’apparition d’une nouveauté ou d’un changement n’est pas nécessairement contradictoire avec des croyances anciennes parfois même, cette adaptation à la nouveauté ne fait que réactiver des croyances mises en sommeil » 172 . Mais quand le changement de représentation sociale entre en conflit avec des croyances anciennes, ce conflit sera fort s’il concerne le noyau et sera faible si elle touche le périphérique. Pourtant, lorsque le conflit porte sur le noyau, il va toucher, après le temps indispensable à sa propagation, l’ensemble des membres du groupe social. Selon Moliner, ce cas aboutit à un « changement de grille de lecture, soit un phénomène de rejet de la grille initiale » 173 .
Les facteurs à l’origine de la dynamique représentationnelle sont multiples tel que : les communications interindividuelles et quotidiennes, les communications médiatiques, les idéologies et les pratiques sociales.
Moliner détermine que l’on doit entendre par pratiques sociales des « ensembles de conduites finalisées par et pour des groupes sociaux» 174 . Ces pratiques sociales sont capables de réaliser un changement dans la représentation, « d’ajustement collectif sur des opinions et des croyances autorisant la rationalisation (ou la justification)…des pratiques d’un groupe donnée) » 175 .
En essayant de transformer expérimentalement la structure d’une représentation, Moliner, Joules et Flament en 1995, ont utilisé le paradigme de l’essai contre attitudinal dont le sujet doit rédiger un argumentaire défendant un point de vue qui n’est pas le sien.
L’auteur constate que pour éviter un conflit socio-cognitif majeur, le sujet déniait l’objet de représentation en dérivant vers un autre objet. « Tout se passe comme si les sujets avaient voulu éviter de produire des arguments allants à l’encontre d’un élément central. En d’autres termes, ayant pressenti l’intensité potentielle du conflit cognitif engendré par une telle argumentation les sujets auraient imaginé une ‘’parade ‘’. Cette parade …consiste à restructurer le stimulus, en lui conférant une nouvelle signification, avant d’y agir » 176 . Donc, de cette déviation, émane une dynamique représentationnelle.
En plus, pour Moliner la production des représentations différenciées, nouvelles ou originales est limitée par l’idéologie, parce que tout système idéologique étant régulé par des fonctionnements institutionnels parfois rigides, interdit, ou sélectionne, l’intégration d’un certain nombre d’informations, d’une part, et dicte à ses tenants des représentations, toutefois, d’objets sociaux déterminés.
Donc, la dynamique représentationnelle est complexe, et porte sur l’action des pratiques et de l’idéologie au niveau des mécanismes de formation et de transformation de la représentation sociale. C’est ainsi que l’étude des transformations représentationnelles les poses comme moteur principal des changements.
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