Après ce voyage théorique et conceptuel, nous constatons que l’affirmation identitaire de l’individu passe par quelques processus, telles que la catégorisation, la discrimination, et la comparaison sociale…etc.
D’après les théories de l’identité sociale, les individus rangent la réalité sociale en s’incluant eux-mêmes et les autres dans des catégories significatives. La catégorisation sociale est un processus qui permettrait à l’individu de trouver son identité sociale dans la mesure où elle définit sa place dans la société. L’élaboration de l’identité sociale du sujet est, ainsi, le fruit de cette perception catégorielle de soi et de l’environnement, aussi bien que, de la conscience d’appartenance à certaines catégories.
Quant à la discrimination sociale, elle a une fonction cognitive : elle différencie les catégories, en même temps elle ordonne et simplifie la réalité. Elle a des déterminants psychologiques qui consistent au besoin d’affiliation sociale valorisé « positif », et à l’usage de stratégies comparatives, individuelles ou collectives, afin d’éviter les effets préjudiciables à l’estime de soi.
Dans une optique consensuelle, Festinger explique les processus de comparaison sociale et ceux d’uniformisation sociale en mettant le relief sur les relations interindividuelles.
La tendance à estimer ses opinions et ses aptitudes, permet de déclencher des conséquences non seulement dans le comportement des individus à l’intérieur d’un groupe mais dans les processus de composition des groupes et les changements d’appartenance à divers groupes. Dans la mesure où cette auto-évaluation passe forcément par la comparaison avec d’autres, la disposition à l’auto-évaluation devient une force qui pousse à appartenir à des groupes, à s'agréger avec d’autres.
Un homme tendrait donc, à entrer dans des groupes où, selon lui, on a des opinions en harmonie avec les siennes et des aptitudes qui sont proches des siennes.
A l’opposée de Festinger, selon Shérif, les relations entre groupes peuvent être compétitives ou coopératives. Dans le premier cas, les conflits sont produits par des motifs réalistes de concurrence pour avoir de ressources concrètes ou abstraites. Dans le second cas, la coopération naît de l’adhésion à un but commun (but supra-ordonné) qui ne peut être possédé qu’à travers l’assistance réciproque et actif de la part de tous les membres des groupes. Pour Shérif, compétition et conflit sont donc dus à des raisons objectives qui déclenchent des préjugés et des biais pro- endogroupe.
Alors, la théorie de Shérif, dans une optique conflictuelle explique les manifestations collectives de préjugés et de discrimination et leur variabilité inter et intra-groupe et pourquoi les expressions d’hostilité envers les exogroupes sont fréquentes lors des périodes de compétition ou de conflit d’intérêts. Elle explique aussi la dynamique des relations entre groupes sociaux et le passage d’un rapport de compétition à un rapport de coopération, pourtant, ces théories n’expliquent pas de façon adéquate les manifestations individuelles de préjugés et de discrimination et leur variabilité inter-subjective.
Ces théories sont basées sur la perspective intergroupe bien qu’elles expliquent les problèmes collectifs de préjugés et discrimination, mais elles n’interprètent ni la variabilité subjective ni l’attitude invariable de refus des exogroupes de la part de certaines personnes. Parmi ces théories, celles de Shérif et de Tajfel, sont les plus importantes et elles sont complémentaires.
Basée sur la théorie de comparaison sociale de Festinger (1954) 177 , et celle de la théorie de conflit d’intérêts de Shérif (1966) 178 , Tajfel met l’accent sur l’appartenance au groupe dans la définition du soi. Pour lui, la catégorisation sociale est un processus cognitif de classification qui permet une construction identitaire à la fois distincte et positivement valorisée. Ainsi, il propose une extension plus sociale autour des notions qui articulent identité et comparaisons sociales, comme la notion de la catégorisation sociale qui « constitue un guide d’action et un système d’orientation qui créent et définissent la place particulière de l’individu dans la société eu égard à ses appartenances catégorielles. C’est donc à travers son appartenance à divers groupes que l’individu acquiert une identité sociale » 179 .
Alors, il résulte de ce processus de la catégorisation sociale des ‘’différenciations catégorielles’’ qui donnent lieu « à des différenciations d’ordre comportemental, évaluatif, et représentationnel…quand il y a différenciation à un des trois niveaux (comportemental, évaluatif ou représentatif), il y a tendance à créer des différenciations correspondantes aux deux autres niveaux » 180 .
D’ailleurs, nous constatons que Tajfel se situe dans une perspective comparative. Il relie le processus de la catégorisation sociale à une formation conceptuelle de l’identité sociale. Il a démontré que la compétition sociale n’est pas une condition nécessaire pour déclencher des comportements discriminatoires. Il pense que le comportement conflictuel intergroupe est le résultant de processus uni des mécanismes cognitifs et motivationnels. « Selon la TIS, le biais pro-endogroupe peut amener à un conflit quand les membres du groupe défavorisé perçoivent que leur identité négative et la structure sociale dont elle découle sont illégitimes, et quand ils estiment possible de changer cette structure par une action collective. Le conflit peut aussi surgir quand les membres du groupe avantagé voient que la sécurité de leur position sociale est menacée par l’instabilité et l’illégitimité » 181 .
L’auteur insiste sur le fait que les aspects positifs de son identité - au niveau personnel, collectif et groupale - ne fournissent de signification qu’en liaison avec les différences aperçues avec les autres groupes, ce qui renforce leur estime de soi.
A partir de ces propositions Tajfel et Turner soustraient les principes théoriques qui démontrent le besoin essentiel de l’individu à maintenir une identité sociale positive, basée sur les comparaisons sociales favorables en privilégiant son groupe d’appartenance. Lorsque l’identité sociale de l’individu est insatisfaisante, les individus tentent soit de quitter leur groupe pour rejoindre un group plus positif, et /ou de rendre leur groupe distinct dans un sens positif.
Donc, « les théories de l’identité sociale de Tajfel, puis de Turner, ne font pas de distinctions théoriques entre ‘’soi’’ et des ‘’autrui’’ individuels lors que les appartenances sont en jeu : la catégorisation en groupe est censée produire en même temps, l’accentuation des différenciations entre les groupes, et l’accentuation des similitudes dans les groupes » 182 .
En fait, ce qui particularise Turner, c’est qu’il a avancé les thèses conceptuelles de Tajfel et critiqué celles de Festinger. Il a essayé de proposer des concepts et des hypothèses non inclus dans la théorie de l’identité sociale. Il a déterminé, d’abord, les conditions de la composition spontanée de la division endogroupe - exogroupe, ensuite, les situations qui, dans un contexte donné, rendent saillant une appartenance de groupe en déterminant la transition de la perception de soi en termes personnels à la perception de soi en termes catégoriels.
D’ailleurs, il a critiqué la perspective de Festinger « en cherchant à comprendre les raisons pour lesquelles, à partir d’un variable de catégorisation, les sujets opèrent des distributions de valeurs selon telle modalité ou selon telle autre » 183 .
A la suite de son analyse des effets du besoin d’identité positive, Turner ignore la question du traitement de l’information quand il s’agit de comprendre les manières d’agir par lesquels se met en place l’identité sociale de l’individu.
En fait, Turner ne partage pas les perspectives de Shérif et Tajfel concernant le rôle de procédés identitaires qu’ils accordent au conflit d’intérêt. Il refuse l’idée de l’homogénéité intra-groupe et la différenciation inter-groupes aboutit à l'inévitable discrimination comportementale. Il suppose qu’en l’absence de catégorisation il n’y aura pas de discrimination comportementale : l’individu ne se réfère pas à aucune formation groupale. L’effort de chacun consiste à se différencier d’autrui, phénomène considéré et analysé de la part de Turner en tant que compétition sociale. La recherche d’un intérêt optimal est celle d’un meilleur statut face à autrui.
Ajoutons que la théorie de l’auto-catégorisation a articulé plusieurs facettes du concept de soi. Mais par cette action, elle a autorisé au niveau théorique la rupture des composantes les plus collectives et les plus personnelles de l’identité individuelle.
Concernant l’apport théorique de Camilleri et Berry, nous constatons que dans une situation de contact des cultures, le sujet supporte des pressions psychologiques et sociologiques qui déséquilibrent son identité et son système de valeur, ce qui le pousse à adopter certaines stratégies identitaires ou attitudes d’acculturation afin de garder la cohérence de son Soi.
Nous constatons aussi que face à l’enjeu de contact des cultures et de l’acculturation, les réponses des individus sont diverses. Elles sont dépendantes de la particularité identitaire de chaque individu, de sa situation dans le contexte socio-culturel de la société d’accueil, et de celui de la société d’origine.
En fait, ces théories tentent de présenter un concept dynamique de l’identité en refusant de la considérer comme une entité figée. Elles mettent en relief l’influence du facteur culturel, et surtout le ‘’contact des cultures’’ sur la personnalité de l’individu : ses attitudes et ses comportements. Elles présentent le rôle positif de l’acteur social en tant que négociateur des stratégies proposées par la société d’accueil ; autrement dit, participant à l’acculturation puisqu’il est relativement libre de choisir entre les différentes modalités de cette dernière.
De sa part, Camilleri en s’intéressant au concept des stratégies identitaires, il aborde la question au niveau psycho-symbolique. Alors que, Berry en s’intéressant au concept de l’acculturation et la politique d’émigration adoptée par la société d’accueil, il aborde la question au niveau social-relationnel. D’où la complémentarité de ces deux théories, qui ne sont pas exhaustives et représentent un point de départ des recherches interculturellesadoptant une approche pluridisciplinaire qui prend en considération la complexité du ‘’contact des cultures’’.
En abordant la question identitaire au Liban, nous soulignons la particularité de la situation libanaise et de sa différence de celle des sociétés où Camilleri et Berry faisaient leurs recherches et que la question de l’acculturation est moins saillante, mais nous croyons que nous pouvons tirer des avantages de ces deux théories, de voir comment elles ont abordé la problématique de la détermination de soi face aux changements culturels résultants du ’’ contact des cultures’’, et comment elles ont étudié : la manipulation du cadre culturel et son influence sur le comportement de l’individu, son image de soi et sa représentation, ses attitudes et définition de l’identité libanaise. Sachant que le Liban vit un changement culturel depuis la fin de la guerre résultant de la prospérité du ‘’contact des cultures’’ aboutit à une expérience du partage culturel, et que nous pouvons parler du contact des cultures au Liban puisqu’il y a la culture Musulmane et Chrétienne, nous soulignons, aussi, la diversité culturelle que renferme la culture chrétienne, par exemple celle Arménienne, Chaldéenne, Syriaque…etc.
D’ailleurs, la notion de stratégie identitaire proposée en tant qu’un moyen qu’utilise l’individu pour se défendre face à des menaces résultantes de l’acculturation, et en tant que moyen pour réaliser le passage à la laïcité et la modernité. Au Liban nous pouvons s’inspirer des études concernant les confessions, comment elles se contactent l’une avec l’autre, et quelles stratégies adoptent pour passer à la laïcité et la modernité au temps d’après guerre.
Aussi, nous trouvons dans ces théories des réponses scientifiques aux questionnements posés au Liban. Ces questionnements nous les trouvons, surtout, dans la théorie de Camilleri qui sont : Comment communiquer au mieux dans les situations variées dont les individus ne partage pas la même sous culture ? Comment établir du commun à travers l’altérité et la dissimilitude de façon à les prendre en compte sans les décamper?
Ces théories nous permettent de dévoiler les attitudes des minorités dans un contexte culturel dessiné par les autres communautés. . Cette situation existe au Liban où on a besoin d’étudier les attitudes de ses minorités, dont une partie participe au pouvoir. Ces attitudes variantes entre l’assimilation, la séparation, l’intégration et la marginalisation, des faits abordés dans ces théories.
Bref, au Liban, comme par tout le monde, « la majorité comme la minorité, dans leurs stratégies assimilationnistes, intégrationnistes, séparatistes, militantistes ou unitaristes reproduisent une vision de soi et des autres, réelle ou imaginaire, irénique ou antagoniste » 184 .
Les théories de représentations sociales étudient les mécanismes cognitifs qui structurent nos connaissances d’autrui, du monde social ainsi que de nous-même. Par conséquent, les représentations sociales renvoient aux mécanismes psychiques, sociaux, cognitifs et culturels, dont l’objectif est de rendre compte de la façon dont les individus élaborent leur vision de la réalité commune d’une culture donnée et en font usage, afin de réaliser une meilleure adaptation à leur environnement. C’est cette subordination, à divers déterminants, qui rend le courant d’études des représentations sociales multidimensionnel.
Pour Moscovici, les représentations sociales sont des activités mentales de construction du réel, capables de créer une dynamique individuelle et sociale. Elles constituent un phénomène complexe : composé des concepts et des faits palpables. Elles sont agissantes dans la vie sociale puisqu’elles influencent les pratiques sociales des individus et remodèlent les éléments de l’environnement. D’où elles sont considérées comme système des valeurs, qui prépare à l’action.
En adoptant l’optique de Moscovici, Jodelet a essayé d’étudier l’enracinement d’un système des représentations dans les relations sociales. Elle a démontré l’importance de la culture, de l’histoire du groupe pour obtenir les éléments représentatifs. Elle nous a invité à prendre en considération l’importance de la symbolique sociale dans l’interaction entre les individus et les groupes, puisqu’elle considère que les représentations sociales font un système indirecte de valeurs.
En créant un lien entre représentations sociales, comportements et pratiques sociales, Abric a présenté sa théorie du noyau central, en considérant la représentation comme un processus cognitif permettant à l’individu de structurer significativement le réel.
La représentation est une forme de pensée sociale, anticipatrice qui détermine des types de conduite. Elle a un rôle déterminant dans l’interaction sociale et la dynamique des liens. Elle est une entité constituée de deux systèmes: l’un central, l’autre périphérique. Ils sont paradoxaux, mais en même temps complémentaires qui possèdent - à une certaine mesure - une autonomie structurelle lui permettant de produire une connaissance du sens commun et certaines pratiques sociales : comportements ou prises de position à l’égard d’un phénomène déterminé.
Le noyau assure deux fonctions essentielles dans la représentation : une fonction génératrice de sens, c’est-à-dire que c’est par lui que les autres cognitions de la représentation acquièrent un sens et une valeur spécifique pour le sujet. Alors, le noyau va gérer l’ensemble des significations contenues dans la représentation. Une fonction organisatrice : c’est autour du noyau que s’agence les autres cognitions de la représentation. Donc, c’est le noyau qui détermine les relations que ces cognitions entretiennent les uns avec les autres.
Les autres éléments de la représentation sont les éléments périphériques ; ils sont placés sous la dépendance du noyau central. Ces éléments périphériques sont regroupés en structures cognitives (catégories, scripts).
Comme Moscovici, considérant les représentations sociales notion carrefour et entité a double composante (psychologique et sociologique), Doise présente sa théorie en présentant les représentations sociales comme des principes organisateurs de prise de position liés à des insertions spécifiques dans la somme des rapports sociaux. Elles ont une fonction interprétative, fonction de familiariser tout ce qui est nouveau et étranger, et une fonction sociale en faisant un classement des éléments de l’environnement selon des catégories et des significations.
Dans une approche expérimentale dynamique vise à découvrir les processus qui entraînent à la transformation d’une représentation sociale, Moliner a développé la théorie du noyau central en proposant des nouvelles notions (scriptes, grille de lecture) et des nouvelles méthodes pour identifier le système central : méthodes de mise en cause et l’induction par scénario ambigu.
L’auteur a proposé une nouvelle approche en considérant la représentation comme une grille de lecture qui accorde à l’individu un rôle actif. Selon ses convictions, l’individu est capable de réaliser un véritable processus de transformation, décodage et interprétation de l’information. De ce fait, les représentations sociales peuvent contrôler l’interaction sociale. Ainsi, le phénomène représentationnel va se situer au sein de l’interaction sociale. D’autant plus, c’est grâce à la communication collective qui fait le fondement des représentations sociales.
Moliner a envisagé un modèle bidimensionnelle des représentations. D’après lui, elles ont un rôle descriptif et évaluatif. Elles assurent les fonctions opérationnelles de la représentation. Elles constituent le système périphérique, c’est-à-dire la partie externe de la représentation. Nous sommes, donc, en présence de deux niveaux d’organisation ou d’un double système.
Inscrit dans l’approche théorique du noyau central, Moliner propose l’idée qualitative et rôle structurant des éléments centraux. Quelle est la nature de ces éléments ? Et comment l’auteur définit le noyau central ?
Moliner pense que sa définition explicite la double caractéristique attribuée aux représentations sociales : ‘’processus et contenu’’. Selon Moscovici, la représentation sociale explicite le contenu puisqu’elle est constituée de concepts, d’opinions, et de descriptions de pratiques. Moliner considère que ces éléments constitutifs peuvent être regroupés sous le terme générique de ’’schèmes’’, alors que le processus pouvant se résumer à un phénomène d’interprétation du réel.
Festinger, L., A theory of social comparaison processes, Humain Relations, 1954, n° 7, PP :117-140.
Sherif, M., (1966), Social Psychology of intergroup conflict and cooperation, in Commen predicament, Boston, Houghton Mifflin.
Ibid., Conduite langagière, P : 118.
Ibid., Articulation psychologique, P : 147.
Azzi, A., (1999), La dynamique des conflits intergroupes et les modes de résolution de conflits, in Stéréotypes, discriminations et relation intergroupes, Bruxelles, MARDAGA, P : 297.
Ibid., Identité sociale et identité personnelle, P : 80.
Ibid., Inégalités sociales et procédés identitaires, P : 48.
Sleiman, J-P., (1990), L’unité est multiple : réflexion sur le fait minoritaire proche - oriental, in Minorités : réalités et aspirations, Khalifé, A. et al., Beyrouth-Kaslik, Université Saint-Esprit, P : 5.