Le concept de l’individu se fonde sur une logique spéculaire et symbolique, l’identité, processus construit dans le rapport à l’Autre qui la définit sur la base de la représentation dont l’autre est porteur. Ce rapport à l’autre, surtout différent culturellement, devient un phénomène qui s’impose sur certaines branches de la psychologie : psychologie sociale, interculturelle et psychanalyse « il apparaît aujourd’hui nécessaire de redonner à la relation d’objet, à la relation à l’autre, aux autres et à l’ensemble, au processus d’incorporation, d’introjection et d’identification, leur importance fondatrice dans constitution de l’identité et de la subjectivité,et de prendre en considération l’importance déterminante de la culture dans le fonctionnement psychique, sa théorisation et son interprétation » 202 .
En fait, la relation à Autrui est un thème qui nous préoccupe fortement, dans le détail de notre vie quotidienne. Cet Autrui, qui « nous demeure pour une large part inconnu et nous nous heurtons à de nombreuses difficultés pour établir avec lui une relation à la hauteur du désir qui la fait naître » 203 . D’où, la perception à Autrui, et l’image de l’Autre seront -parfois- des fantasmes et réalités fictives tels que les stéréotypes, et les préjugésqui montrent la discrimination et le déchirement du tissu social, qu’on remarque -particulièrement- dans les sociétés multiculturelles et multiethniques.
Pourtant, cette altérité, n’a pas toujours une logique opposée à celle de l’identité. L’Autre est tantôt l’un des éléments constitutionnels de notre identité comme a dit Freud : « Autrui joue toujours dans la vie de l’individu le rôle d’un modèle, d’un objet, d’un associé ou d’un adversaire… » 204 . C’est pourquoi la question qui s’impose ici est : Quel est le rôle de la différence culturelle en percevant autrui d’une façon négative ? Quand est-ce que l’autrui devient un adversaire ?
A notre époque, celle de la Mondialisation, les acteurs sociaux sont confrontés à des bouleversements culturels sans précédent, dont le changement des repères et la perte des frontières, même géographiques, sont omniprésentes dans la plupart des sociétés.
Les sociétés deviennent, donc, de plus en plus multiculturelles, et le phénomène social le plus courant est celui de l’existence des pratiques culturelles non-familières pour l’individu.
Cette situation met l’acteur social face à des sentiments gênants qui se transforment en difficultés qui rendent propice l’émergence des expériences d’étrangeté qui «est la découverte de quelque chose de frustrant, de déconcertant ou de fascinant en soi même ou dans l’autre » 205 , et parfois, elle le met face à des ‘’chocs culturels’’ !
En effet, ces chocs culturels ont suscité chez l’individu le sentiment de se situer par rapport à autrui, différent culturellement. C’est un ’’ essai – impasse ‘’que nous n’arrivons pas à contenir dans notre conscience (individuel ou collective).
Cependant, les expériences d’étrangetés résultantes de la différence culturelle, s’inscrivent dans des rapports de réciprocité et d’antagonisme : « elles sont réciproques, lorsqu’elles sont partagées par les acteurs et qu’elles établissent un nouvel espace symbolique. Mais, puisque ces expériences partagées sont perçues par chacun de manière très différente, elles se concrétisent souvent dans des sentiments d’étrangeté antagoniste. Lorsque les interactions tentent, plus ou moins inconsciemment, de faire fonctionner l’autre selon leur modèle » 206 .
Ainsi, il est clair que la différence culturelle est l’un des éléments principaux créant les expériences d’étrangeté, qui sont le plus souvent inquiétantes et dépassent la simple juxtaposition entre deux codes culturels, puisque l’être humain, en général, se sent à l’aise quand tout ce qui l’environne est familier pour lui, et se sent en malaise et inquiétant quand il se trouve face à des objets ou situations non-familières, autrement dit, « étrangères ». D’où, la différence culturelle aplanit le chemin pour percevoir autrui d’une façon ‘’négative’’, cet autrui qui est la source de ces sentiments d’inquiétude ou des soucis qu’ils le dérangent. Bien plus que cet autrui, oblige l’individu à mettre en question tout son héritage socioculturel, particulièrement, son système des valeurs, ses convictions…une aventure qui débouche sur un conflit identitaire et « une souffrance liée à un conflit de loyauté sociale » 207 .
Cet autrui qui devient une expérience quotidienne ‘’épineuse’’, nous laisse incohérents, séparés de nous-mêmes. Il semble nous obliger à perdre le lien avec nos propres sentiments et avec nos propres réflexions, ce qui suscite le sentiment d’être ‘’ nuls ‘’ et de percevoir le rapport avec l’autre comme un fossé qui nous laisse ’’perdus’’, ‘’vagues’’,‘’vides’’, on n’arrive plus à se situer. Dans cette situation, l’autrui devient ‘’menaçant’’, par conséquence, le glissement sur le chemin de juger l’autrui comme adversaire sera facile et acceptable.
D’ailleurs, l’autrui représente ‘’l’adversaire’’ parce qu’il est la source des peurs, qu’elles soient effectives ou fictives, fruit des souvenirs douloureuses qui surgissent à la surface de notre inconscient, en nous rappelant notre ancienne angoisse de l’étranger « qui est cette angoisse du bébé déclenchée par la figure de l’inconnu parce que la présence de cette figure dit avant tout l’absence de la mère » 208 .
Cette présence de ‘’l’Etranger- l’Inconnu ‘’, il nous oblige, d’abord, à entretenir une relation ambiguë avec le refoulé également, et ensuite, à confronter des situations d’incertitude résultantes de son ambiguïté et de sa différence culturelle. D’où, l’individu fait recours à certaines attributions sociales afin « d’éviter le déséquilibre cognitif [puisqu’elle] permet de concevoir l’environnement comme quelque chose de stable et cohérent » 209 . Soulignons que dans la perception sociale (Soi ou Autrui), les processus d’attribution jouent un rôle important en permettant à l’individu, d’expliquer son propre comportement (auto-attribution) et celui d’autrui (hétéro attribution).
Aussi, cet ‘’autrui - adversaire’’ exerce sur nous un contrôle social inévitable, qui nous oblige à changer nos attitudes, nos pratiques socioculturelles. Bref, cet Autrui représente le Différent, l’Etranger, l’Inconnu, qui n’appartient pas à notre groupe d’appartenance et à notre culture, qui déstabilise notre identité, c’est pourquoi, il est le Menaçant et l’Adversaire.
Cette tendance à juger passivement l’autrui pour aliéner ses qualités, se manifeste plus spécialement à l’égard des adversaires. Or, il est normal d’interpréter l’émergence des « expériences d’étrangeté » et la production des images (chargées de tout ce qui est inquiétant) liées à l’étranger comme à un mécanisme de défense, puisque « Sa finalité est toujours la même : rendre autrui étranger pour protéger son propre moi ou son statut devant l’inquiétant et le menaçant » 210 , et puisqu’il est courant et même légitime, chez la majorité des êtres vivants, de se défendre contre toute atteinte à l’intimité du moi.
Ainsi, la différence culturelle est acceptée de la part de l’acteur social à condition qu’il ne suscite pas des ambiguïtés inquiétantes ou des menaces, au niveau social ou personnel.
Ajoutons que la question de la différence culturelle, dans une situation des contacts des cultures, est inséparable de la hiérarchie sociale, des questions de l’inégalité sociale, de la discrimination sociale et de l’exclusion. C’est à travers le processus de la catégorisation sociale (endo-groupe / exo-groupe) que les sujets manifestent des signes de discrimination qui peuvent être positifs (préférence de l’intérêt des membres de l’endo-groupe ou l’affirmative action), ou négative tels que :
Diet, E., Sujet, groupe et interculturalité : Perspective psychanalytique, Connexion, Fenouillet, Érès, 1997, n° 69, P : 1.
Moscovici, S., (1994), Psychologie sociale à Autrui, Paris, Nathan, P : 5.
Freud, S., (1924), Essais de psychanalyse, tard. Jankélévitch, S., Paris, Payot, P : 83.
Hagen, K., (1999), Les expériences d’étrangeté, in Guide de l’interculturel en formation, Paris, RETZ, P : 168.
Ibid., Les expériences d’étrangeté, P : 168.
De Gauljac, V., Les dégâts du changement, in L’identité : l’individu, le groupe, la société, Sciences Humaines, Auxerre, 1998, hors série, P : 73.
Houel, A., (2001), La figure de l’étranger dans la relation amoureuse, in La psychologie au regard des contacts de cultures, Limonest, L’Interdisciplinaires, P : 314.
Deschamps, J-C., Clémence, A., (1990), La notion d’attribution en psychologie sociale, in Texte de base en Psychologie, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, PP : 19-21.
Ibid., Les expériences d’étrangeté, P : 170.