Dans l’interaction quotidienne, le fait de la péjoration des particularités de l’Autre considéré comme « différent » a une fonction sociale qui renferme une dimension instrumentale.
Les acteurs sociaux en situation de contact avec les cultures où l’hétérogénéité ethnoculturelle et sociale ne s’en tiennent pas à la simple catégorisation réductrice d’autrui, il s’agit le plus souvent de créer un autrui fictif, falsifié, en lui octroyant des traits capables de présenter une utilité pour soi. En décrivant cette situation, Camilleri pense que c’est une « ‘’catégorisation fabricatrice’’, expression de cet ‘’imaginaire construit ‘’qui octroie largement à l’autre les traits dont on a besoin » 218 .
D’après Vinsonneau, ce processus de catégorisation falsificatrice (débordant de la surestimation des groupes d’appartenance) trouve ses meilleurs expressions, « selon les trois axes suivants : En premier lieu, les frustrations, tensions et autres éléments négatifs sont déplacés en direction des groupes étrangers, de telle sorte que leur intégrité est menacée. On déplace aussi vers la même cible tout ce qui peut être ‘’infériorisé’’ ; ce qui permet au sujet de maximiser les ressources qui doivent lui permettre de se construire une identité sociale la meilleur possible. Enfin, selon le même principe, le groupe d’appartenance est réaffirmé de la manière la plus flatteuse, ce qui fonde la base d’un ‘’moi idéal’’ en contrepoint de l’image de l’Autre péjoré » 219 . Alors, la péjoration de l’autre devient un moyen qui aide le groupe et l’individu à réaffirmer l’endogroupe et redéfinir son identité sociale.
Dès lors, au cours de sa vie sociale, le sujet trouve dans son attachement préférentiel à son groupe d’appartenance une identité gratifiante qui lui offre un sentiment de sécurité, de dilatation de moi liée corrélativement à la manière d’être dans une communion. Alimenté par telle motivation, l’individu peut facilement être amené à exagérer ‘’ l’étrangéité’’ du ‘’ Eux’’, ce qui aboutit à l’intense identification au ‘’ Nous’’ avec lequel la fusion est bien désirée.
La fonction instrumentale, donc, de la péjoration de l’Autrui consiste à obtenir pour soi le confort d’une identité gratifiante aux dépens d’autrui, qui peut subir toutes sortes des prétextes pour alimenter des reproches destinés vers lui, articulés sur des phénomènes effectifs ou imaginaires. Ces griefs, peuvent atteindre leur apogée avec le cas de l’Etranger, autrement dit, celui qui n’appartient pas à notre groupe d’appartenance, que se soit compatriote ou non.
Alors, a partir du moment où la personne opère une division entre son groupe d’appartenance et les autres groupes auxquels elle n’appartient pas, l’individu produit lui - même de l’étrangeté en opposant ce qui est interne de ce qui est externe. C’est pourquoi, d’après Camilleri les étrangers sont considérés « comme le point d’application privilégié des mécanismes de dénaturations et de la différence ». 220
Concernant le rapport avec l’étranger, le fait de la péjoration de la différence, à son tour, pourra aller. Quand à l’opération psychologique qui détermine l’Etranger, c’est une question relative, elle dépend du champ dans lequel se positionne l’individu, d’un côté, et à certains critères qui lui permettent de se différencier de ce qui n’est pas le soi, d’autre côté. Ainsi, c’est à partir de la différence culturelle perçue chez les sujets (et de son traitement), en général, et la manière de la construction de la différence, en particulier, que se dessine l’image de l’Etranger, aussi bien que les frontières de l’identité qui peuvent atteindre son extrême limite qui est « la xénophobie » 221 s’il était accompagné par des préjugés et des stéréotypes envers l’exogroupe, deux thèmes qu’on va aborder ci-dessous en parlant de l’image de l’Autre.
Ibid., Psychologie et culture, P : 64.
Ibid., L’identité culturelle, P : 208.
Ibid., Psychologie et culture, P : 65.
Taguieff, P-A., (1992), La force de préjugé : essai sur le racisme et ses doubles, Paris, Gallimard, P : 337.