I. 3- L’Altérité comme référence identitaire 

Quand on parle de l’Altérité, c’est-à-dire on parle de la dimension sociale de l’identité ‘’du sujet, de ses interactions sociales qu’il pratique avec ceux qui l’entourent.

Porter l’attention aux échanges réciproques ente la personne et les objets de son environnement, est un fait qui « a profondément modifié l’épistémologie de la psychologie sociale » 238 , grâce aux travaux du psychosociologue G. H. Mead (1863-1931), l’un des fondateurs de la psychologie sociale. Pour lui, le ‘’Moi ‘’n’existe pas que par et dans les interactions sociales et l’acte individuel n’est qu’une abstraction. Par conséquent, l’acte humain est toujours un  acte social, une expérience collective qui exige la participation de deux ou plusieurs individus.

Par conséquence, le Moi est l’ensemble des rôles que l’individu apprend à tenir dans la société qui est la sienne. Le comportement individuel ne peut donc être compris qu’en fonction du comportement collectif. Mais l’individu est également capable de spontanéité et d’innovation personnelle, ce qui est la fonction spécifique du je. Le Soi (l’identité) est l’association entre ces deux éléments : le moi (intégration des normes sociales) et le je (actions spontanées).

On pourrait constater que la présence de l’Autre est indispensable pour la personne, et l’identité singulière du sujet est en complémentarité avec Autrui, qui est enraciné dans notre entité, même avant que nous soyons conscients de notre propre identité. Partant du fait de l’affiliation et du ‘’nom’’ qu’on porte.

En effet, l’identité personnelle de l’individu s’inscrit, d’abord, dans un signifiant, qui est son nom. C’est ce signifiant qui fonde notre identité en lui donnant sa particularité parmi les autres membres au sein de la filiation aussi bien qu’en distinguant la filiation parmi les autres filiations qui existent dans l’espace social. Par l’intermédiaire de la filiation, l’Autre devient la source de notre singularité et de notre reconnaissance sociale : « C’est la filiation qui fonde la dimension singulière de notre identité, précisément parce que notre filiation est propre […] Elle organise le processus institutionnel qui fait de nous des êtres sociaux, en nous donnons un nom, en nous assignant des devoirs et en nous reconnaissant des droits qui font de nous, dès notre naissance, des sujets singuliers de langage et de sociabilité ». 239

Etant une représentation symbolique de la présence d’autrui dans notre existence, la filiation a un rôle qui ne s’arrête pas à nous donner un nom, elle est un engagement de socialisation que fait la famille à l’égard de son enfant, pour lui fournir les repères nécessaires à comprendre le monde et à s’adapter avec son milieu social. Expérience indispensable de l’individu pour qu’il ne se marginalise pas de la scène sociale, qui exige la conformité afin de protéger la cohésion sociale.

Ainsi, la famille, en tant que groupe institutionnalisé,  représente la première expérience sociale de l’enfant « impliquant une spécialisation des rôles et des attentes liées à ceux-ci, c’est aussi un système normatif, en liaison avec le système social et culturel ambiant, régit les rapports entre ses membres et avec l’extérieur. Membrane de protection pour une part, par rapport à cette extérieur, la famille est aussi la courroie de transmission d’un certain nombre de valeurs, d’idéaux, de modes de pensée et d’action de la société dans laquelle elle se trouve insérée » 240 . L’individu se trouve alors dès le début, inséré dans un tissu social touffu, qui oriente sa sociabilité par le processus de la socialisation : mécanisme par lequel la personne est amenée à adhérer et à partager les normes, les valeurs, les modèles de conduite de son groupe d’appartenance. Alors, avec la socialisation la ‘’personne’’ devient ’’acteur social ‘’.

Outre son rôle social et intégratif, l’Autre intervient, aussi, dans les fonctions vitales qui assurent notre vie, comme manger, dormir… etc. Il nous aide à nous développer au niveau biologique aussi bien qu’affectif qui nous prépare aux conduites sociales en réalisant le passage de l’attachement à l’intégration sociale en traversant le pont de l’identification : « C’est à partir de l’attachement premier, la mère présente le monde et les autres à son petit ; médiatrice entre l’enfant et son milieu, elle lui offre la possibilité de divers identifications » 241 .

En fait, l’identification est une notion freudienne fondamentale. Elle signifie le processus de la constitution du sujet. C’est un mécanisme psychique selon lequel l’individu, depuis l’enfance, tend à construire sa personnalité sur le modèle de quelqu’un d’autre. C’est la tendance à se réaliser dans une forme personnelle (identité), constituée en interaction avec certaines personnes privilégiées qui sont prises comme modèles. Ce processus se développe à partir des premiers attachements affectifs, ou de la découverte de points communs avec une autre personne, selon deux directions possibles, soit le sujet s’identifie à l’autre, soit il identifie l’autre à une partie de lui-même en le plaçant en lui. Ce qui démontre la présence de l’Autre dès que le sujet commence à constituer son propre sentiment de l’identité personnelle comme a dit Lipiansky « la conscience de soi et son extériorisation dépendent étroitement d’autrui, de la relation et de la communication qui le lient au sujet et de la situation dans laquelle ils se trouvent tous deux engagés » 242 . Nous rappelons ici la définition de Laplanche et Pontalis : 

« Processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une séries d’identifications » 243 .

Il est certain que l’identification se fait avec l’autre présent en moi, et tout rapport interpersonnel est basé sur un investissement affectif qui trouve sa source chez l’autre. D’où le rejet de l’autre signifie une perte des repères qui donnent sens aux engagements de l’individu, également, pour les groupes étant « toute société se définit au miroir de l’Autre... » 244 .

Cette complémentarité de la relation soi-autrui, n’empêche pas son caractère paradoxal qui se manifeste par la question de la ressemblance /différence. Il ne s’agit pas seulement d’être différent pour ne pas être semblable, mais il s’agit d’être unique et singulier afin d’affirmer sa propre identité, « la psychologie montre bien que l’identité se construit dans un double mouvement d’assimilation et de différenciation, d’identification aux autres et de distinction par rapport à eux » 245 . D’où, on peut constater que l’identité se fabrique en conjuguant la séparation et le lien social, la distinction et la similitude, malgré qu’elle implique une différenciation fondamentale entre soi et autrui.

Finalement, nous pouvons dire que la relation avec l’Autre est une configuration dynamique qui guide l’évolution de l’individu. Celle-ci est dépendante d’un certain contexte socioculturel et affectif qui influence sa définition de soi-même qui « interfère […] avec la définition de l’autre » 246 en tissant  « un rapport dynamique entre deux identités qui se donnent mutuellement un sens » 247 , et « se constituent tout autant qu’ils communiquent » 248 , car, comme il a dit Camilleri : « en communiquant on se fabriquent les uns les autres » 249 , et on dessine les contours de notre ‘’identité’’, sujet et problématique à aborder ci-suivant.

Notes
238.

Muchielli, A., (1994), La psychologie sociale, Paris, Hachette, P : 69.

239.

Lamizet, B., (2002), Politique et identité, Lyon, P.U.L, P : 93.

240.

Aebischer, V., Oberlé, D., (1998), le groupe en psychologie sociale, Paris, DUNOD, P : 42.

241.

Ibid., Le groupe en psychologie sociale, P : 49.

242.

Lipiansky, E-M., (1992), Identité et communication : l’expérience groupale, Paris, P.U.F, P : 131.

243.

Laplanche, J., Pontalis, J-B., (1978), Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F, P : 187.

244.

Wihtol de Wenden, C., (1996), L’Autre au quotidien, in L’Autre, Badie, B., Sadoun, M., Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, P : 164.

245.

Lipiansky, E-M., (1998), L’identité personnelle, in L’identité : l’individu, le groupe, la société, Sciences Humaines, Auxerre, hors série, P : 21.

246.

Lipiansky, E-M., Identité : Communication interculturelle et dynamique des groupes, in Connexions, Fenouillet, Erès, 1991, n° 58, P : 60.

247.

Abdallah-Pretceille, M., (1985), Pédagogie interculturelle : Bilan et perspectives, in L’interculturel en éducation et en sciences humaines, Toulouse, Mirail, P : 31.

248.

Ibid., Identité : Communication interculturelle et dynamique des groupes, P : 60.

249.

Camilleri, C., (1999), Identité personnelle, identité collective : Les différentes formes de contact et d’échanges, in Guide de l’interculturel en formation, Paris, RETZ, P : 161.