II.2- Identité et dynamique identitaire : Clarification conceptuelle 

La diversité de la terminologie visant le phénomène identitaire (telles que : Ego, identité, concept de soi, la représentation de soi, l’image de soi, la conscience de soi) reflète la complexité de la notion d’identité aussi bien que sa diversité théorique et disciplinaire.

D’après cette richesse terminologique, nous remarquons que le même terme peut avoir plusieurs significations, et parfois, des termes différents peuvent être considérés comme synonymes.

Commençons par l’identité individuelle, il s’agit seulement ici de l’identité de la personne, c’est-à-dire de l’identité étudiée au niveau individuel : comment il se définit et agit en fonction du soi (approche cognitive) et ce que l’individu est d’après lui (l’approche phénoménale).

Définir la notion de l’identité ou bien le ‘’self’’ d’après W. James, est un ‘’fait conceptuel ‘’qui varie selon les chercheurs et les perspectives qu’ils adoptent et s’ils veulent mettre en relief le facteur personnel et le processus de structuration de soi, ou bien, le facteur social et l’interaction de l’individu avec les membres de son groupe d’appartenance ou ceux des autres groupes.

En fait, les racines de la notion de l’identité s’étendent vers (1890) avec W. James : le courant philosophique de la phénoménologie existentielle. D’après lui, le Soi est « la somme totale de tout ce que l’individu peut appeler sien » 259 .

Pourtant, les auteurs de l’approche phénoménologique (qui mettent l’accent sur la façon dont l’individu se voit lui-même en tant qu’objet d’évaluation, d’attitude, de sentiments caractérisés par la continuité, la cohérence et l’unicité), le Soi est « une configuration organisée de perception de soi admissible à la conscience » 260 .

En effet, en (1934), G. H. Mead, considère que le Soi ne s’inscrit jamais dans une logique purement personnelle, que la formation de soi s’inscrit toujours dans un processus de différenciation et d’interaction entre les aspects individuels de la personne et son environnement social.

En (1959) E., Erikson, détermine l’identité comme « renvoyant au sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle (sameness), et d’une continuité temporelle (continuity) » 261 . La naissance de ce sentiment est le fruit d’un double processus opérant à la fois «au cœur de l’individu ainsi qu’au cœur de la culture de sa communauté » 262 .

A la lignée de James, Ecuyer en (1978) détermine le Soi en tant qu’une « structure d’ensemble multidimensionnel […] caractérisant les multiples facettes du concept de soi et puisant au sein même de l’expérience directement ressentie, puis perçue et finalement symbolisée ou conceptualisée par l’individu » 263 .

Par ailleurs, l’approche cognitive du soi, a vu le jour aux Etats-Unis en (1975), après avoir connu son départ dans les années (1980-1990) où elle s’est développée comme étant la cognition sociale sous l’influence de psychologie sociale cognitive.

D’après cette approche, le soi est un concept purement individuel et relativement autonome, élaboré de façon opérationnelle, et les données sociales n’ayant qu’un rôle secondaire dans la définition identitaire de l’individu. Cette approche s’intéresse à étudier les composantes cognitives du soi, et au soi dans le traitement de l’information, car, elle considère le Soi comme « structure cognitive de reconnaissance et d’interprétation des informations dont la fonction est la régulation de l’expérience sociale » 264 .Le soi, donc, est équivalent à une structure cognitive et des processus mentaux peuvent être conçus comme réseau, schéma ou bien prototype.

En effet, nous considérons que cette approche cognitive est insuffisante pour étudier profondément et objectivement le phénomène identitaire car elle marginalise l’influence du facteur social et ignore l’effet des données culturelles sur la construction identitaire de l’individu. C’est pourquoi nous adoptons la perspective de Camilleri qui considère l’identité personnelle comme un ‘’fait’’ saisit trois niveaux « Au plus bas, le sujet, avec les membres des sous-groupes dans lesquels il s’investit, s’identifie à un ‘’Nous’’ et prend conscience d’être séparé des autres ’’Eux’’ […] Au deuxième niveau […] on doit tenir compte de la manière différentielle dont il s’investit : cette manipulation de collectif propre à chacun le fait progresser vers sa dimension individuelle. Enfin, en dernier niveau, apparaissent les caractéristiques personnelles qui le distinguent des autres au sein des groupes dont il fait partie » 265 . D’après cette détermination de l’identité nous remarquons que les facteurs sociaux et culturels sont présents même au sein de l’identité personnelle par l’intermédiaire de l’identification de l’individu avec le ’’Nous’’ qui symbolise le groupe d’appartenance, et de la distinction d’ ‘’Eux’’, qui représente les autres groupes sociaux différents du mien, et d’emblée, la société. C’est pourquoi nous adoptons cette perspective qui prend en considération le facteur social et culturel dans la construction identitaire de l’individu considérée pour nous comme fait psychosocial et culturel et non seulement un simple fait cognitif.

Parler de l’identité en tant que phénomène social, signifie que l’analyse du facteur social intervient au niveau de l’interaction entre les individus, et que l’identité du sujet « se développe comme résultat des relations que le sujet noue avec la totalité des processus sociaux et des individus qui s’y trouvent engagés » 266 .

Alors, l’identité sociale trouve son origine dans nos relations avec autrui et tout l’environnement qui nous entoure, c’est pourquoi notre identité sociale est « Un rapport au monde, une certaine manière d’être et de se situer par rapport à l’environnement, et particulièrement par rapport aux autres, individus et groupes » 267 .

En fait, l’identité sociale n’est pas une entité toute faite : elle se construit progressivement, particulièrement, au cours de l’enfance, comme l’ont montré les travaux de Freud, de Piaget, de Mead. L’influence des référents sociaux joue un rôle relativement important dans les mécanismes de formation identitaire. A ce propos, Mead considère que l’identité se construit par rapport à l’autre généralisé. Il essaye de montrer que le rapport à autrui est essentiel dans la construction identitaire de l’individu. C’est le monde social, à travers ses divers composants qui constitue le lieu principal des identifications : mécanismes psychologiques qui donnent lieu à l’élaboration de l’identité. Elles sont définit « comme un processus inconscient de structuration de la personnalité par lequel autrui sert de modèle à un individu (ou à un groupe) qui le fait sien, en l’incorporant à sa propre conduite par une assimilation et une conformité aux propriétés du modèle » 268 .

Ainsi, on constate l’importance du facteur social et de l’Autrui (représenté par les parents) à la construction identitaire de l’individu, et que l’identification se fait surtout par affiliation à des groupes sociaux, en invitant le sujet à intérioriser l’identité prescrite par la société et sa culture en assimilant ses valeurs, ses normes, ses représentations qui feraient émerger l’identité sociale. Elle sera le moyen par lequel l’individu s’intègre à un ensemble plus vaste et dans lequel il tend à se fondre.

Ce rôle central de l’identification dans la dynamique identitaire, montre que l’identité se fonde sur des référents identitaires. Ceux-ci peuvent être des personnes, telles que les parents, les frères et sœurs, les camarades ou des personnalités connus « les individus qui marque de façon particulière l’image que nous nous faisons de nous-mêmes » 269 , ou bien des groupes, on les appelle groupe de référence qui « concerne non seulement les groupes sociaux […] exerçant une influence dans la formation de l’identité, mais l’ensemble des référents psychosociaux : Les rôles, les normes, les mentalités, les systèmes de valeurs et les symboles en œuvre dans la pyramide sociale » 270 .

Ainsi, l’identité sociale se construit en fonction de la société et sa culture globale aussi bien que les groupes de référence dans lesquels nous vivons et auxquels nous nous identifions : Famille, classe sociale, catégorie professionnelle…etc., qui façonnent nos opinions, nos attitudes, nos sentiments et nos habitudes, car ils forment un noyau de notre identité sociale. A ce propos Camilleri a dit « la dynamique identitaire ne saurait être restituée sans analyser soigneusement le rapport que groupes et individus entretiennent, non pas avec la totalité de leur environnement, mais avec les secteurs et niveaux de celui-ci par lesquels ils se sentent concernés, et qui varient donc, dans le temps, voire dans l’espace » 271 . Alors, nous ne comportons pas en tant qu’individus isolés mais en tant qu’êtres sociales appartiennent à certains groupes sociaux, et certaines catégories. D’où la question que l’appartenance sociale représente le pierre angulaire sur lequel se fonde l’identité sociale

Avant de terminer, une question nous semble-t-il s’impose : Quels liens se tissent entre l’identité individuelle et l’identité sociale ?

En fait, d’après Bognet, certains modèles théoriques cherchent à expliquer les liens existant entre l’identité individuelle et l’identité sociale : Modèle du continuum soi-groupe, modèle de la co-variation, conception hiérarchisée de l’identité, théorie de l’auto-catégorisation.

Selon le premier modèle, l’identité se fonde sur ‘’un continuum soi-groupe’’. Elle est composée de deux pôles : un pôle relatif au soi, c’est le pôle de l’identité personnelle, et un pôle social dont au moins deux individus sont totalement définis par leurs appartenances propres à des groupes différents et par leurs rapports interpersonnels : c’est le pôle de l’identité sociale. « Posés sur le mode d’un continuum, les deux types d’identités s’excluent mutuellement : plus l’identité sociale est forte, moins l’identité personnelle est importante, plus l’identité personnelle est saillante, moins l’individu a recours à une identité sociale » 272 . Tajfel et Turner considèrent que les liens entre l’identité individuelle et sociale sont activés prioritairement, d’une façon exclusive, par l’un des deux pôles.

Le second modèle : la co-variation (Soi-groupe) s’intéresse à savoir pourquoi les personnes, sous l’influence de certaines conditions, cherchent à affirmer leur identité personnelle que leurs identités sociales. Ce modèle crée un certain mode d’équilibre-oppérationnalisé en terme de co-variation, des types d’identité et entre les deux processus générateurs des types d’identité :

Les travaux des Deschamps s’inscrivent dans le cadre des recherches sur la différenciation catégorielle, ils s’intéressent à l’analyse des mécanismes correspondants au soi dans la gestion de la similitude et la différence. Les résultats de ses travaux confirment l’hypothèse de la co-variation. Différences entre soi et autrui, différences entre groupes, peuvent s’opérer de manière non exclusive, conjointement. L’auteur démontre que « similitude et différence sont les deux faces concomitantes d’un même processus identitaire (on est femme, mais femme particulière) » 273 . Il considère que l’explication psychosociale de la co-variation dialectique de la similitude et la différence consiste dans l’articulation entre la représentation de soi et les contextes sociaux.

De ces deux modèles « continuum soi-groupe et co-variation », on constate que les liens identité personnelle et identité sociale sont dynamiques et se caractérisent par une dimension sociale et une dimension cognitive.

Conception hiérarchisée de l’identité sociale, voici la troisième proposition. En fait, Monteil trouve dans la théorie de l’autocatégorisation un meilleur exemple pour ce qu’il appelle l’interaction entre contextes sociaux et schéma cognitifs. D’après lui, la dynamique cognitive de l’autocatégorisation procure une dimension d’appartenance sociale à la représentation de soi, menant l’acteur social à se définir en priorité comme membre d’une catégorie à tel ou tel niveau.

Le dernier modèle est proposé par Turner et la théorie de la catégorisation de soi. Il suppose qu’il y a trois niveaux hiérarchisés de la catégorisation de soi, qui prennent en considération les liens entre identité personnelle et identité sociale : d’abord, le niveau supra-ordonné, relatif à soi en tant qu’être humain, autrement dit, membre de l’espèce ;ensuite, le niveau intermédiaire correspondant au soi en tant que membre d’un groupe dans le cadre des relations entre groupes et à l’identité sociale, enfin, le niveau subordonné, relatif au soi en tant qu’être unique et à l’identité personnelle.

Ainsi, nous concluons que l’identité est un fait psychosocial, culturel et sociocognitif est défini dans une optique dynamique et perspective interactionniste liant l’identité personnelle à l’identité sociale. Nous considérons qu’elle doit être conçue comme une totalité dynamique, où ces différents éléments interagissent dans une dynamique de la complémentarité ou du conflit, d’affirmer sa singularité et sa différence par rapport aux autres (membres de groupes d’appartenance et des autres groupes sociaux) pour défendre son existence et sa visibilité sociale, ou bien à l’inverse, d’affirmer son adhésion et son fusion avec ses groupes d’appartenances. D’où, il nous semble que l’identité du sujet apparaît comme un lieu de médiation où s’enchevêtre les deux pôles identitaires dans une relation dialectique entre sa dimension singulière (identité de fait), et sa dimension collective (identité sociale ou socioculturelle-prescrite). Cette relation traduite par ce qu’on appelle la dynamique identitaire.

Notes
259.

Ecuyer, R., (1978), Le concept de soi, Paris, P.U.F, P : 19.

260.

Ibid., Le concept de soi, P : 19.

261.

Erikson, E., (1972), Enfance et société, trad. fr., Cardinet, A., Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, P : 13. 

262.

Ibid., Enfance et société, P : 17.

263.

Ibid., Le concept de soi, P : 18.

264.

Baugnet, L., (1998), L’identité sociale, Paris, DUNOD, P : 28.

265.

Ibid., Identité personnelle, identité collective, P : 160.

266.

Ibid., L’Esprit, le Soi et la société, P : 115.

267.

Chauchat, H., (1999), Du fondement social de l’identité du sujet, in de l’identité du sujet au lien social, Paris, P.U.F, PP : 7-8.

268.

Ibid., Les concepts fondamentaux, P : 194.

269.

Ibid., Les concepts fondamentaux, P : 196.

270.

Ibid., Les concepts fondamentaux, PP : 196-197.

271.

Camilleri, C., (1979), Identités et changements sociaux : Point de vue d’ensemble, in Identités collectives et changements sociaux, sous dir. Tap, P., Colloque International, Paris, Sciences de l’Homme-Privat, P : 333.

272.

Ibid., L’identité sociale, P : 85.

273.

Ibid., L’identité sociale, P : 87.